Intervention de Marie Haye (secrétaire nationale) dans le débat introductif, présentation du texte ÉÉ
Diderot, Balzac, Ravel, Saint-Saens, Rosa-Parks, Lucie Aubrac… Ce n’est pas un inventaire à la Prévert, mais les noms de quelques-uns des lycées dans lesquels les E3C ont été perturbées hier. Depuis le coup d’envoi du 20 janvier, ce sont près de 40 % des établissements qui sont touchés, sur tout le territoire. Un vrai coronavirus !
La mobilisation est remarquable par son ampleur et sa détermination, malgré les gesticulations de Blanquer qui tente de cornériser les opposant-es en brandissant l’intérêt des élèves (« On peut aimer son métier et ne pas perturber les choses. Et 99,9% des enseignants sont d’accord avec ce que je viens de dire. »), et malgré la menace de sanctions (en témoigne la communication opportune à la veille du coup d’envoi des E3C, du nombre de collègues « sanctionné-es » à la suite de la rétention des notes du bac en juin, 4000, ce chiffre prenant en compte celles et ceux, l’immense majorité, ayant écopé de retenues sur salaire, qui ne sont pas des sanctions).
Bien qu’une partie du front de la contestation prenne ses distances avec certains modes d’actions, il reste très large et les élèves semblent prendre le relais en cette deuxième semaine, par des blocages et en chahutant les épreuves.
La mobilisation s’appuie sur les collectifs militants engagés contre la réforme des retraites, il n’y pas de désarticulation de ce point de vue entre les luttes en cours.
La rupture avec Macron et son gouvernement est consommée dans notre secteur. Et plus généralement, le niveau de conflictualité social est extrêmement élevé, même si la mobilisation est entrée dans une nouvelle séquence, avec la petite comédie de Philippe et Berger autour du faux retrait de l’âge pivot.
Cette deuxième séquence s’est ouverte avec trois images marquantes : les pompiers du Havre arrosant la façade de la mairie du successeur d’Edouard Philippe, le chœur de Radio France interrompant les vœux de la PDG, ou encore les avocat-es jetant leurs robes devant la Garde des Sceaux.
Depuis, la grève reconductible s’est arrêtée dans les transports et à l’Opéra de Paris, mais ces secteurs restent en lutte. D’autres ont pris la suite (ports, raffineries), et si la grève perd en intensité, les manifestations restent de très bon niveau (les retraites aux flambeaux de jeudi soir dernier ont été un franc succès). Les actions « coup de poing », dont certaines ont eu un bon écho médiatique, se sont multipliées.
L’opposition à la réforme reste majoritaire dans l’opinion publique, et les cotes de popularité de Macron et Philippe chutent, y compris dans les professions intermédiaires et l’électorat du Modem. L’avis du Conseil d’État a réactivé la contestation en corroborant certaines de nos analyses, notamment sur la prétendue « revalo » promise par Blanquer.
La troisième période qui va s’ouvrir, avec les congés scolaires par zones, est un tournant qu’il va falloir négocier. Les premières retenues sur salaire peuvent accentuer le sentiment de découragement, de même que les coups de massue répressifs. La garde à vue qu’a subie le collègue retraité du 77, Jean-Charles Moyon, arrêté à l’issue de la manifestation de vendredi parce qu’il avait remis son badge FSU, en dit long sur l’autoritarisme du gouvernement. Dans le cadre de la mobilisation contre les E3C, les mesures de rétorsions se font jour, comme à Clermont ou Toulouse. Le SNES doit continuer à soutenir les collègues menacé-es de sanctions dans le cadre de leurs actions revendicatives, en les outillant juridiquement, et en organisant leur défense syndicale. Il doit médiatiser son indignation.
La période qui s’ouvre ne va pas être facile pour nous, mais elle ne le sera pas plus pour Macron et LREM : le vote de la loi retraites est assez lointain, les municipales arrivent entre-temps et des divisions affaiblissent la majorité.
Tout cela doit nous conforter dans le syndicalisme de lutte et de transformation sociale que nous portons, à l’opposé d’un syndicalisme d’accompagnement qui confine depuis le 11 janvier à un service après-vente de la réforme. Hier, sur France Inter, Berger a d’ailleurs presque fait passer l’avis du Conseil d’État pour un brûlot émanant de la frange mobilisée la plus « radicalisée », pour reprendre le terme de Blanquer.
Cela nous donne une responsabilité particulière. Le SNES doit continuer à décliner dans son secteur les temps forts fixés par l’interpro. Dans ce cadre, il doit, avec la FSU, porter l’idée d’un plan d’actions à moyen terme, autour de dates symboliques, comme le 17 février, début de l’examen de la réforme par l’Assemblée Nationale. Il faut également penser au coup d’après, et préparer dès maintenant une nouvelle journée de grève massive, type grève générale. Pour cela, il faut du matériel (tracts, affiches, autocollants, mini-site…) autour de l’avis du Conseil d’État, de l’étude d’impact, et de l’âge d’équilibre. Il est également primordial de communiquer sur un contre-projet de réforme, et y travailler dans le cadre le plus large possible même si nous savons que cela sera sans FO. La perspective d’une manifestation nationale n’est pas à exclure, mais avant cela, il faut penser à l’interpellation d’élu-es, et à des actions symboliques et médiatiques.
Le SNES doit y articuler les luttes sectorielles, comme il le fait sur les E3C. La préparation de rentrée avec les moyens en baisse, et les discussions sur le métier, que Blanquer entend lier à sa prétendue « revalo », sont aussi l’occasion de mobiliser. A ce titre, le tract fourni avec la dernière US est un bon début. Il faut continuer à alerter les collègues sur les chausse-trappes de ces pseudos-concertations, et y défendre des revendications simples et fédératrices, telles que la réduction du temps de travail. Il faut enfin travailler fédéralement à la construction d’un front dans l’éducation, où les colères sont nombreuses, de la maternelle à l’université.
Le report d’un an de la mise en place des nouvelles maquettes de master, face aux motions et positions hostiles, qui a entraîné le report de toute la réforme de la formation des enseignant-es voulue par Blanquer, est un encouragement !