Intervention de Marc Rollin (BN, Lyon) pour présenter le texte action de l’ÉÉ
Bonjour à toutes et tous.
Présenter notre texte, c’est avant tout dire comment nous percevons la situation sociale, chose que nous essayons de caractériser dans la première partie de notre écrit.
A un mouvement massif, déterminé et qui ne se satisfait pas de miettes, le gouvernement répond par un « grand débat » et une répression brutale. Le premier est biaisé d’avance, la seconde est bien là : depuis le début du mouvement, environ 5500 personnes ont déjà été placées en garde à vue. Et les projets de loi qui permettront des interpellations en amont de tout acte de violence ou de dégradation avéré menace nos libertés.
Sans doute l’absence de victoires significatives du mouvement syndical ces dernières années a également pu durcir les pratiques. Dire cela c’est se poser la question suivante : faut-il avoir recours à la violence pour se faire entendre puisque les contestations organisées et « institutionnalisées » ne fonctionnent plus ?
Le message renvoyé par la réponse politique obtenue semble dire que oui. En ce sens, elle confirme ce que nous savions déjà par l’Histoire, nos droits ont toujours été finalement conquis par des révoltes tumultueuses, ce qui ne nous empêche pas d’avoir une discussion sur les contours de certaines violences.
Mais, si les Gilets Jaunes étaient restés tranquillement dans leur coin, le gouvernement aurait probablement attendu que ça se calme.
Or, depuis 1995, mis à part le mouvement lycéen contre le contrat première embauche (CPE) en 2006, aucun conflit social d’ampleur n’a réussi à faire reculer les pouvoirs publics.
Que se passe-t-il donc avec les Gilets Jaunes ? C’est assez simple : ce n’est pas un mouvement classique, lancé par les organisations syndicales, avec des leaders identifiés, auquel le pouvoir a l’habitude de faire face, mais un mouvement social voire politique nouveau, disparate, qui met le gouvernement en difficultés car les recours habituels ne fonctionnent pas. Autant d’éléments qui doit le faire regretter, en tout cas nous l’espérons, d’avoir marginalisé les corps intermédiaires.
Qui sont-ils à l’arrivée ces Gilets Jaunes ? Sans doute un ensemble disparate, je l’ai dit, mais pas une non-classe sociale. Au contraire, ce mouvement est « avant tout le signe d’un renforcement des conflits de classe qu’il convient de saisir et d’interpréter à partir d’un cadre analytique renouvelé » (Gilles Lafferté), notamment « la nouvelle géographie des rapports sociaux, mais aussi [le] processus de désintégration sociale dont on avait probablement sous-estimé la gravité, notamment dans les mondes ruraux ».
Comme l’affirme Emmanuel Terray, « Du point de vue du mouvement ouvrier organisé, il serait donc aussi erroné de courir derrière le mouvement que de le rejeter sans autre forme de procès. Ce qui importe, c’est de travailler à sa décantation […]. »
Concernant les Stylos Rouges, nous ne pensons pas un seul instant que la salle des profs soit le cœur de la Révolution. On ne peut pas demander aux « masses », que ce soit les Stylos Rouges ou les Gilets Jaunes, d’être parfaits. Ils sont ce qu’ils sont : divers, dépolitisés, perdus, motivés, anti-tout… Les revendications sont toujours très terre-à-terre au début d’une mobilisation car le fédérateur c’est l’argent.
Sur le fond, on perçoit qu’il y a une modification de notre milieu dans le rapport au militantisme et à l’engagement « dans les luttes », au sens traditionnel auquel nous l’entendons. La « tentation » du militantisme 2.0 est un effet décalé du peu de victoires syndicales obtenues ces dernières années. On ajoute à cela une lassitude certaine de l’exercice de la profession d’enseignant·e, remis en cause par presque tout le monde, médias, ministre, chefs, IPR, formateurs, et une dégradation énorme des conditions de travail, et on arrive à des collègues qui ne peuvent que se retrouver dans le livre d’Evelyne Bechtold-Rognon Pourquoi joindre l’inutile au désagréable ?
Pour autant, à la tête de l’Etat, on estime que la réforme de la fonction publique est le chantier le moins susceptible de provoquer des polémiques apparemment, puisque maintenu. A l’inverse, les grandes lignes de la réforme des retraites ne seront pas dévoilées avant le début de l’été. Pas question de compliquer les élections européennes, prévues le 26 mai, avec un sujet aussi éruptif !
Cette caractérisation faite, nous essayons, dans notre texte, d’en tirer les conclusions syndicales.
Il nous semble donc qu’il faut admettre deux choses :
– la première, c’est que les Gilets Jaunes nous disent que « le programme politique, c’est de démocratiser la démocratie », phrase qui rappelle, soulignent certains journalistes, le « the process is the message » (le processus est le message) d’Occupy Wall Street. L’idée de se retrouver ensemble pour parler politique.
– la seconde, c’est que leur nombre a suffi à obtenir ce qu’ils ont obtenu grâce à la détermination de leur mobilisation.
Ainsi, pour obtenir plus et pour plus de monde, il faut profiter de la séquence et s’y mettre enfin. Les syndicats doivent faire la démonstration qu’ils peuvent augmenter le nombre de mécontent·e·s et changer aussi les choses à leurs façons et sur leurs bases.
Bien sûr la question de la détermination dans l’Education nationale est une question centrale car nous savons nos collègues peu favorables à des actions reconductibles, d’autant plus « à froid ». Mais, l’élargissement du mouvement, la consolidation de son ancrage social dans les entreprises, dans la fonction publique, sont nécessaires pour gagner sur les exigences sociales.
L’enjeu est aussi de faire barrage à la violence de la répression qu’organise le gouvernement face la mobilisation, avant qu’elle ne parvienne à ses fins et fasse alors reculer le large soutien populaire dont jouit aujourd’hui ce mouvement. Dit autrement, il n’y a pas d’autre issue par le haut que l’élargissement de la mobilisation. Les organisations syndicales de transformation sociale disposent aujourd’hui d’une fenêtre de tir immédiate sur la question de la criminalisation du mouvement. Si elles l’occupent unitairement, personne ne pourra penser qu’elles tentent de récupérer ce mouvement.
Car, pour finir, ne sous-estimons pas le risque, pointé par Plenel, que « si cette situation perdure, […] l’extrême droite ne soit la grande gagnante de cette crise, confortant sa place d’unique challenger d’un pouvoir qui, en 2017, se fit élire au nom de son rejet. »
Il est donc plus que tant de s’y mettre, sur nos revendications, à notre manière, dans un calendrier d’actions qui inclut une mobilisation sur un samedi, jour de mobilisations réussies dans le passé, quand celles-ci étaient construites, et qui évite de toucher au portefeuille des collègues.
C’est pour cela que nous ne pouvons que réclamer et soutenir la grève du 24, car nous savons que la grève est l’arme ultime et la seule à même de, si elle n’est pas faite que par les militant-e-s.
C’est pour cela que nous plaidons pour un calendrier d’actions avant et après celle-ci : avant, pour trouver les moyens de mobiliser massivement, après, pour monter en puissance et oeuvrer à une possible jonction des différents mouvements et le mouvement syndical.
C’est pour cela que nous pensons, concernant le débat, qu’au niveau national, seule une communication intersyndicale, avec nos partenaires de transformation sociale, est envisageable pour dire combien le débat est biaisé et mettre en avant nos revendications.
En somme, nous sommes face à un moment-clé pour le syndicalisme. Nous pensons qu’il ne faut pas le rater.