Suzy Rotjman est membre du du Collectif National pour les Droits des Femmes
◗ Quelle est la définition actuelle du harcèlement sexuel ?
Article 222-33 du Code Pénal :
« Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. » (17 janvier 2002)
Article L 1153-1 du Code du Travail :
« Les agissements de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits. »
On a affaire à une tautologie, puisqu’en aucun cas, on ne peut définir le harcèlement par le fait de harceler… Deuxièmement, l’utilisation des termes « faveurs de nature sexuelle » relève plus de la séduction que du harcèlement ou de l’agression sexuelle. D’ailleurs, la directive du Parlement Européen et du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 2002 définit ainsi le harcèlement sexuel : « la situation dans laquelle un comportement non désiré à̀ connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».
Cette définition prend en compte le consentement de la victime et l’environnement, considérant ainsi que le harcèlement sexuel peut être un fait isolé.
◗ Depuis quand la loi sur le harcèlement existe-t-elle ?
Elle existe depuis 1992, elle ne concernait à l’époque que les personnes abusant de l’ autorité que leur conférait leurs fonctions (critiquée à l’époque par les féministes car ne prenant pas en compte tout l’environnement des victimes et le fait que le harceleur puisse être un collègue, un usager, un client…) et a été modifiée pour en arriver à la définition actuelle.
◗ Pour quelles raisons le Conseil constitutionnel l’a-t-il annulée ?
La raison de forme, c’est une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par un ancien Secrétaire d’Etat du gouvernement, condamné pour harcèlement (et connaissant par ailleurs quatre membres du Conseil constitutionnel…). Cette abrogation est due au caractère imprécis de la définition du harcèlement, que nous dénonçons d’ailleurs depuis 20 ans.
Le Conseil constitutionnel aurait pu cependant s’accorder 6 mois avant l’abrogation de la loi comme il l’a fait pour la présence de l’avocat pendant la garde à vue.
◗ Quelles en sont les conséquences pour les victimes ?
Toutes les victimes qui étaient en procédure pour l’infraction de harcèlement sexuel voient leurs procédures terminées. Elles peuvent redéposer plainte si les délais (trois ans) ne sont pas prescrits sur une autre infraction telle que harcèlement moral (mais cela masque le côté sexuel du harcèlement) ou agression sexuelle. Elles peuvent attendre une nouvelle loi mais elles se heurtent aussi au danger des trois ans de prescription. Il faudrait prévoir dans la nouvelle loi un mécanisme transitoire pour permettre en ce cas aux victimes concernées par la prescription de tout de même porter plainte. Tout ceci est très dur pour elles, il est déjà très difficile d’aller porter plainte, alors voir tout d’un coup toute la procédure annulée, c’est un séisme personnel dont on mesure mal les conséquences.
◗ Existe-t-il des propositions alternatives à la loi de la part du mouvement féministe ?
Bien sûr ! Lors de la proposition de la Loi Cadre contre les violences faites aux femmes par le CNDF, nous avions inséré dans nos propositions la définition de harcèlement sexuel issue de la directive européenne que la France a toujours refusé de transposer dans le droit français.
Pour l’histoire, l’Assemblée adopte à l’unanimité le 25 février 2010 une proposition de loi qui stipule à l’article 19 : « Tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant constitue un agissement de harcèlement sexuel. Tout agissement de harcèlement sexuel est interdit. » Mais lors de son passage au Sénat en juin 2010, cet article a été repoussé et ne fait donc pas partie de la loi contre les violences faites aux femmes votée en juillet 2010. Le gouvernement n’en voulait donc pas. A nous maintenant de faire en sorte qu’une véritable Loi Cadre contre les violences faites aux femmes soit votée rapidement.
Interview réalisée le 6 Mai 2012 par Ingrid Darroman