Francesco Rosi est mort à 92 ans en laissant une belle filmographie de 22 films entre 1952 avec Les Chemises rouges (sur l’expédition des Mille de Garibaldi) et 1997 avec La Trêve (adaptation du roman de Primo Levi).
C’est un cinéma souvent très politique et très ancré à gauche qui a fait les grandes heures du cinéma italien, auquel Francesco Rosi participa, notamment dans les années 1960 et 1970.
Il commença comme assistant-réalisateur de Luchino Visconti sur La Terre tremble en 1948, un des films phare du néo-réalisme.
En 1959, I Magliari racontait le destin d’immigrés italiens en Allemagne. Il s’agissait donc d’un sujet sensible, qui plus est en mettant en scène des immigrés italiens chez l’ancien occupant du temps maudit de la République de Salo.
Mais sa consécration arriva en 1962 avec le Lion d’or à la Mostra de Venise pour Main basse sur la ville. Le film se passe à Naples d’où Francesco Rosi est originaire et dénonce de manière implacable la spéculation immobilière dans la ville qui a notamment pour but d’évacuer les pauvres du centre-ville.
Le spéculateur incriminé, joué par Rod Steiger, est aussi élu de droite ; cela donne des scènes ahurissantes au conseil municipal de Naples où l’opposition de gauche demande des comptes au maire et à sa majorité, notamment après un accident dans un chantier du centre-ville qui fit deux morts.
Rosi y montre aussi les arrangements qui pouvaient se dérouler pour éviter une enquête indépendante. C’est un film des années soixante dont le sujet peut toujours s’appliquer aujourd’hui dans la plupart des grandes villes de la planète.
Cinéma politique donc et qui n’oublie pas le crime organisé, même s’il n’est jamais cité dans Main basse sur la ville, on comprend qu’il n’est jamais loin.
Cette question du crime organisé est d’ailleurs l’une des obsessions de Francesco Rosi. Dès 1961, il évoquait la figure de Salvatore Giuliano dans le film du même nom, mythique bandit sicilien au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Salvatore Giuliano reçut l’Ours d’argent au Festival de Berlin. Le but de Francesco Rosi n’était pas de se pencher sur les faits divers mais sur le système de la Mafia à travers la figure du bandit.
Le film ne dénonçait pas seulement la Mafia mais aussi ceux qui ont laissé le système s’installer. Rosi déclarait : « Mon vrai sujet c’est un pays malheureux, opprimé, égaré, révolté. Je n’entend ni exalter, ni accabler Giuliano. Je veux montrer qu’il est le fruit de sa terre, des conditions sociales et politiques des années quarante ».[[In Les Lettres françaises, 4 mars 1962. ]]
La Mafia, Francesco Rosi y est revenu en 1973 avec Lucky Luciano, figure du grand banditisme italo-étatsunien (interprété par Gian Maria Volontè), condamné à trente ans de prison en 1931 mais gracié en 1945 (l’aide de la Mafia aux débarquements alliés en Sicile et en Italie du sud est depuis longtemps démontrée) et qui s’installe dès lors en Italie.
À partir de là, le trafic d’héroïne entre l’Italie et les États-Unis augmente sans que l’on n’ait pu prouver la culpabilité de Luciano.
Il tourna aussi Cadavres exquis en 1976 où il cherche à prouver la culpabilité de l’État au plus haut niveau dans la prolifération du crime organisé.
Avec L’Affaire Mattei en 1971, il se posait la question de savoir à qui bénéficiait la mort d’Enrico Mattéi (toujours interprété par Gian Maria Volontè), fonctionnaire dévoué et patron de la Société nationale d’hydrocarbures.
Il obtient pour ce film la Palme d’or au Festival de Cannes en 1972. Il parlera encore de la Mafia en 1989 avec Oublier Palerme.
Et comment ne pas citer Les Hommes contre en 1970 (d’après un roman d’Emilio Lussu) avec encore Gian Maria Volontè, film antimilitariste sur la Première Guerre mondiale.
Sinon, c’est en 1979, avec Le Christ s’est arrêté à Eboli, d’après Carlo Levi, qu’il a abordé la période fasciste avec encore et toujours Gian Maria Volontè.
Que retenir de l’oeuvre de Francesco Rosi ? Après L’Affaire Mattei, il déclarait : « À partir de faits historiques, de personnages ayant réellement vécu, je cherche à présenter une certaine réalité, mais pas dans les termes d’un documentaire.
Mon cinéma n’est en rien un cinéma de documentariste, c’est un cinéma documenté. J’interprète la réalité pour essayer d’atteindre un certain type de vérité, une vérité que je construis à partir de mon optique et à travers mon interprétation de la réalité… »[[In Jean. A. Gili Le cinéma italien, La Martinière, Paris, 2013.]] ●
Olivier Sillam