Il y a peu encore, la question
des réfugié-es de Calais et
des environs n’était pas encore aussi précisément traitée dans les médias nationaux qu’elle l’a été par la suite,
ni avec autant de souci de l’écoute
des associations à l’œuvre
sur le terrain dont certains ont fait preuve. Pourtant, la situation actuelle n’est que l’amplification de ce qui
se passe depuis si longtemps…
Depuis janvier 2016, l’attention sur ce qui se passe dans cette zone, devenue de fait une frontière britannique sur le sol français, a considérablement augmenté, en raison des tensions croissantes autour de ce que les représentants de l’État nomment pudiquement « la lande sud de la zone industrielle des Dunes », et que les réfugié-es(1) nomment pour leur part « jungle ». C’est-à-dire un immense bidonville, où s’entassent des milliers d’hommes, et quelques centaines de femmes et d’enfants qui ont fui leur pays d’origine devenu invivable. Ce n’est pas le seul. D’autres bidonvilles moins importants existent à Grande-Synthe, non loin du port de Dunkerque, et autour de Norrent-Fontes, à proximité de l’autoroute A26 menant à Calais, mais à l’intérieur des terres.
Celui de Calais présente toutefois la particularité d’avoir résulté d’une politique délibérée de l’État qui, à partir de mars-avril 2015, a multiplié les expulsions de réfugié-es auparavant disséminé-es dans de nombreux squats à Calais et aux environs, pour les inciter à venir se rassembler sur cet immense terrain vague à l’est de Calais, à quelques kilomètres du port, et plus loin encore du tunnel sous la Manche. Il s’agissait, d’une part, de « faire disparaître le problème » de la vue des habitant-es du Calaisis, dont les élu-es de tout bord s’agitent de longue date pour que l’État vienne en aide aux communes touchées par ledit « problème », qui en effet n’est pas neuf, tant s’en faut ! Mais sûrement aussi, en les concentrant ainsi dans cette zone, d’en faciliter le contrôle par les forces de police, comme semble le démontrer le déploiement actuel de forces policières pour raser ce bidonville et « persuader » les réfugié-es d’accepter de partir de Calais pour un accueil en « centre d’accueil et d’orientation » d’une région éloignée, à la capacité improbable de leur apporter une aide véritable, vu l’improvisation dans laquelle ils sont créés.
20 ans de traitements indignes…
C’est en 1998 que l’on vit arriver les premiers réfugiés, essentiellement des hommes, originaires à l’époque de l’ex-Yougoslavie, car ils fuyaient la guerre du Kosovo. Rapidement, ils furent des centaines, les nationalités se diversifiant au cours du temps. Leur unique but était déjà de passer en Angleterre, mais le Royaume Uni n’entendait pas les accueillir, et les refoulait à l’embarquement des ferries et du tunnel sous la Manche (où des agents britanniques officiaient). Aucune structure n’étant prévue pour les accueillir, ces hommes vivaient dans les environs de Calais, dans des squats ou abris de fortune, voire des blockhaus encore nombreux le long de la côte (et devenus des dépotoirs), cherchant chaque nuit à embarquer clandestinement pour l’Angleterre, dissimulés dans, voire sous, une remorque de camion traversant le détroit du Pas de Calais en ferry ou par le tunnel sous la Manche, au péril de leur vie. Les premières associations d’aide aux migrants se créèrent à l’époque, au vu des conditions de vie indignes dans lesquelles ils vivaient en attendant d’atteindre leur but. En septembre 1999, dans un geste de générosité incontrôlée, l’État français, alerté depuis de nombreux mois, ouvrit à Sangatte (à une dizaine de kilomètres de Calais) un hangar devenu inutile après la fin des travaux du tunnel sous la Manche. 200 places d’hébergement, puis 700, furent sommairement aménagées pour qu’ils puissent y dormir, y trouver un minimum d’hygiène et se restaurer, et la Croix Rouge mandatée pour entretenir le centre et informer ces personnes des démarches à faire pour demander l’asile en France.
Deux ans après, les réfugiés étaient 1 800 à s’entasser dans ce hangar sans isolation, dans un climat de tension croissante, entre réfugiés, entre mafias de passeurs qui se développaient, et avec la population voisine de ce petit village de 800 habitants, exprimant un sentiment d’insécurité principalement dû à la vue quotidienne de centaines d’hommes (et de quelques femmes parfois) cheminant pour gagner les environs du tunnel sous la Manche ou du port de Calais. En septembre 2002, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, ayant brillamment conclu que c’étaient ces conditions de vie de nabab qui créaient un « appel d’air » plutôt qu’une situation internationale ne s’améliorant pas, décida de fermer le hangar. 1 500 réfugié-es obtinrent à ce moment-là de gagner le Royaume Uni, et 300 furent expulsé-es par la France vers leurs pays d’origine. La France et le Royaume-Uni signèrent dans la foulée les accords du Touquet (février 2003), imposant à la France de prendre des mesures pour empêcher le passage vers l’Angleterre des personnes non autorisées sur le sol britannique, et au Royaume-Uni de contribuer à ce contrôle.
La théorie sarkozienne de « l’appel d’air » fut (évidemment) très rapidement battue en brèche par les faits. Malgré la fermeture du 4 étoiles gouvernemental, de nouveaux réfugiés arrivèrent au fil des semaines et des mois, dormant à la belle étoile (rarement observable dans cette contrée au climat souvent humide !) et à nouveau les associations furent sur le pont pour fournir eau et nourriture, vêtements chauds, accès à l’hygiène et aux soins médicaux de base, à de l’électricité pour recharger les téléphones et à des informations sur leurs droits…
L’action militante,
seule lueur d’humanité
Et depuis ce temps, c’est quasi uniquement l’action incessante des associations et des bénévoles qui a permis, non seulement à des milliers d’êtres humains de survivre et de maintenir de fait une certaine paix sociale pour les habitant-es du Calaisis, mais aussi à obliger les pouvoirs publics à faire quelques aménagements minimaux (points d’accès à l’eau, sanitaires et réparations après leurs vandalisations régulières par des fachos du coin). Le premier centre d’accueil destiné aux femmes et enfants a été un squat spécifique ouvert par les No Border, mettant ainsi en évidence leur existence et les dangers supplémentaires auxquels ils étaient exposés, ce qui a contraint l’État à ouvrir une structure pour les accueillir. Et pour indignes que soient les conditions de vie actuelles dans « la jungle » et que la préfecture utilise comme argument pour raser le bidonville, les matériaux qui ont servi à construire des cabanes pour permettre aux réfugié-es de dormir au sec et d’avoir un peu moins froid qu’en dormant par terre et sans toit ont été amenés par les associations, les lieux de soins ou d’informations sur leurs droits sont ouverts et tenus par des bénévoles, pas par l’État qui n’avait pas prévu d’infrastructures de dimension suffisante ! La destruction de ce bidonville semble avoir pour but de limiter à 2 000 le nombre de migrant-es aux abords de Calais, c’est-à-dire la capacité d’accueil des containers installés par l’État et celle du centre Jules Ferry. Mais, compte tenu du nombre massif de réfugié-es qui se pressent actuellement aux frontières de l’Europe et des refus d’accueil des pays européens, pas besoin d’être devin pour prédire que l’on observera rapidement à nouveau des campements « sauvages » dans des conditions encore plus indignes aux alentours de Calais… ●
Claire Bornais
1) Terme préféré à celui de « migrant-e » qui pourrait laisser penser que ces personnes ont choisi
de s’expatrier. Mais pour la plupart d’entre elles, peut-on parler de choix quand rester, c’est mourir ?