Le recrutement en M1 pose de nombreux problèmes : au lieu d’un modèle de formation intégrée et progressive, il s’agit d’une formation successive, dans laquelle on bachote d’abord pour les concours et la validation du M1, puis on se forme en accéléré au métier en une année tout en bachotant pour son M2. Mais le problème de l’accumulation et de la contradiction des tâches se pose aussi dans un modèle de recrutement après le M2 : les étudiant-e-s qui passaient les concours de 2010 à 2013 l’ont douloureusement éprouvé. Les cours universitaires ont souvent peu à voir avec les contenus que les futurs professeurs auront à enseigner ; les épreuves des concours, même rénovés, demandent de bachoter des connaissances ou des savoirs-faire en partie factices en dépit de leur visée professionnalisante.
Les trois voies de recrutement ne règlent aucun de ces problèmes. Il ne s’agit pas de dire que tout le monde doit entrer dans le métier exactement de la même manière. Mais cela ne justifie en rien d’institutionnaliser des parcours différents. Si la formation de haut niveau pour les enseignant-e-s est une exigence, l’existence de trois voies d’accès aux concours supposerait pourtant d’admettre que certains lauréat-e-s, les titulaires d’un master recherche par exemple, n’arriveraient sur le terrain qu’avec très peu de formation. Plus encore, l’existence de plusieurs voies d’accès reviendrait à former les étudiant-e-s différemment, et en grande partie en fonction de leur origine sociale, à un même métier.
Comme la formation est indispensable et que nos métiers n’attirent plus, il faut que cette formation soit rémunérée. Cela n’est possible que si la formation a lieu après, et non avant le concours. De plus, pour que la formation soit réussie, elle ne doit pas être parasitée par les contraintes du concours, ni même par celles du master. Pour que la formation permette aux enseignant-e-s d’être concepteurs-trices et de lutter contre la reproduction des inégalités scolaires, il faut la penser après un concours à bac + 3, sur au moins deux années, donnant droit à la reconnaissance du diplôme de master. La rémunération serait alors calculée selon le corps de titularisation et non pas le niveau de recrutement (comme c’est le cas par exemple à l’ENA ou à l’Ecole Nationale de la Magistrature).
La formation professionnelle pourra alors être une formation véritablement intégrée. Débarrassé-e-s de la pression du concours, les stagiaires pourront se projeter dans l’entrée dans le métier de manière progressive, anticiper non pas des épreuves de concours mais des problématiques d’enseignant-es, en travaillant à la fois sur les objets disciplinaires (maîtrise des savoirs mais aussi des enjeux épistémologiques de leur discipline) et professionnels. Des équipes pluricatégorielles (universitaires, formateurs ESPE, tuteurs) doivent pouvoir travailler ensemble pour élaborer des formations alternant pratique réflexive du terrain et savoirs issus de la recherche, auxquels les stagiaires seraient véritablement initié-e-s.
Le recrutement à la licence assure la démocratisation de l’accès à nos métiers, et permet de former des professionnel-le-s qui peuvent participer à la nécessaire démocratisation scolaire, reprendre ainsi la main sur leur métier et ne pas se laisser imposer des pratiques pédagogiques allant à l’encontre d’une visée émancipatrice de l’école.
Marie Haye, Raphaël Andere, Romain Gentner