Depuis la rentrée 2010, la réforme de la formation des enseignants est « appliquée ».Avant de faire le point, écoutons celles et ceux qui la vivent, ou qui la subissent !
La parole à Juliane, Marie-Jo et B…
Lors des stages de pratique accompagnée, de nombreux stagiaires ont été désemparés face aux enfants et sont ressortis avec un sentiment de dévalorisation important. « Mon expérience en animation m’a facilité la gestion de la classe et j’étais déjà assez au clair sur la question des objectifs, le déroulement des séances ! Mais lors de la première prise de classe, c’est un sentiment d’insécurité qui prédomine, non seulement à cause du manque de temps de réflexion et de préparation, mais aussi à cause de la surcharge de travail puisque nous sommes en classe à plein temps et que les préparations nous demandent beaucoup de temps en tant que débutants. »
Juliane estime que le manque de cadrage national engendre des inégalités dans la formation et qu’il y a aussi des différences dans un même département. « Les tuteurs ont un double statut : formateur et évaluateur mais on ne nous a pas donné les critères d’évaluation. Certains n’ont même pas encore vu leurs stagiaires ! »
Beaucoup d’interrogations ne sont pas levées : « comment fait-on la classe ? Comment gère-t-on un groupe d’enfants ? Comment s’occupe-t-on des élèves en difficulté ? Pourquoi travailler seul ou en groupe ? Pourquoi et comment différencier ? Quelle école ?… » [*Marie-Jo, PEMF (Professeur des Ecoles Maître Formateur), exerce en petite section en Lot et Garonne. Cette année, Marie-Jo est tutrice de 4 stagiaires.*]
« Nous avons refusé de les avoir en observation dans nos classes car nous étions opposés à cette réforme et nous ne voulions pas cautionner ce qui ne serait pas une véritable formation. Et puis nous ne voulions pas avoir des stagiaires en permanence dans nos classes et ce dès la rentrée, nos élèves ont besoin de se poser avec nous à un moment. »
Les premières conséquences de la réforme qu’elle évoque portent sur la charge de travail qui s’est considérablement alourdie. « A ce jour (7 octobre) j’en suis à 31 h sur les 110 que je dois effectuer pour l’IA. Que va-t-il se passer après, nous allons laisser les stagiaires se débrouiller ? »
Les sollicitations des stagiaires aussi sont pressantes. « Ils ont une pseudo formation. Que ce soit en classe ou à l’IUFM, on survole les choses. J’ai l’impression de jouer les pompiers, de ne pas faire mon travail comme il faut. Tout est concentré, comment les stagiaires vont le digérer ? Tout va trop vite, sans compter les infos et contre infos. »
Les stagiaires devaient être en formation mais ils sont utilisés comme moyen de remplacement. « Les règles du jeu annoncées sont bafouées dès que l’administration a besoin d’eux. Ils servent à boucher les trous. » En conclusion : « Le seul endroit où nous avons le temps de nous voir entre PEMF c’est pendant les manifs et le sentiment général c’est l’impression d’être débordés de travail et de ne pas le faire dans de bonnes conditions. Si ça doit continuer comme ça j’hésite à rester PEMF, travailler dans ces conditions, c’est inintéressant ». ++++ [*B. est membre du collectif « stagiaire impossible » à l’origine du mouvement des stagiaires en cours dans le second degré. Il nous donne son point de vue sur la mobilisation.*] EE : Quel a été le rôle du collectif auquel tu appartiens dans la naissance du mouvement ? B. : Nous avons commencé à discuter à une poignée de stagiaires au déjeuner lors de notre première formation massée à Torcy. Nous avons décidé d’appeler à une AG à la fin du dernier jour. Nous avons aussi créé une liste de diffusion [[stagiaireimpossible@gmail.com]].
Il y avait plus de 80 personnes à l’AG le 1er octobre. Pour tout le monde, nous ne pouvions plus accepter de travailler à temps plein. Il y a eu un consensus pour exiger moins d’heures devant les classes, ainsi que la clarté sur les modalités de titularisation.
Les stagiaires se sont rassemblés la semaine suivante sur plusieurs sites, et le principe d’une AG Ile de France a été décidé, dans le but d’étendre le mouvement, mais aussi d’affiner les revendications. Cette AG a été un succès. A la bourse du travail de Paris, place de la République, le 20 octobre, plus de 180 personnes étaient présentes, venant des académies de Créteil, Versailles et Paris. Et même un observateur d’Amiens ! Des professeurs des écoles stagiaires avaient été invités et nous ont permis de discuter aussi des revendications du 1er degré. EE : Avez-vous fait le rapport avec le mouvement social sur la question des retraites ? B. : Des intervenants ont développé l’idée que si on gagne aujourd’hui tous ensemble, ce sera plus facile de gagner ensuite sur des revendications spécifiques. Les stagiaires font le lien mais n’ont pas encore de propositions pour unifier les revendications. Cela explique en partie pourquoi nous avons eu très peu de visibilité dans les manifs sur les retraites. Pour le 12 octobre, il avait été décidé dans plusieurs AG de constituer un cortège autonome. Le SNES ayant sa propre banderole nous avons décidé de déployer la nôtre derrière le cortège de la FSU. EE : D’après toi, quelles relations le collectif devrait-il entretenir avec les syndicats ? B. : Il y a une forte volonté intersyndicale. Nous devons continuer à travailler avec tous les syndicats. Une demande d’entrevue avec le recteur, de l’intersyndicale ainsi que de représentants du collectif stagiaire impossible a été faite. EE : Quelles ont été les décisions prises par l’AG IDF ? B. : Nos revendications portent sur la réduction du service devant élèves à un tiers temps, l’accompagnement pédagogique des stagiaires par des personnels qui ne soient pas à la fois juges et parties, des conditions de titularisation cadrées au niveau national. Nous appelons pour cela à un rassemblement le 17 novembre devant le ministère dans le but de construire une mobilisation à l’échelle nationale. Le 17 novembre doit être une réussite : il faut proposer aux collègues des régions de faire des rassemblements locaux. Nous devons multiplier les AG et développer les liens avec les collègues titulaires. EE : Avez-vous parlé de faire grève ? B. : Oui, mais il est apparu qu’il fallait une grève « Educ Nat » plutôt qu’une grève des seuls stagiaires. Les motifs de révolte sont bien plus larges que la question emblématique des stagiaires. EE : Les médias se sont emparés de cette question dès la rentrée pour traiter des questions « éduc ». Quels sont les rapports du collectif avec les médias ? B. : Nous avons créé une commission « lien avec les médias » après l’AG IDF. Nous voulons sortir du discours larmoyant que nous entendons partout. Nous sommes des personnes qui nous mobilisons, pas des démissionnaires : nous aimons ce métier et voulons l’exercer dans de bonnes conditions. EE : Quel rôle peut jouer le collectif à l’avenir ? B. : Etre une force de propositions à l’intérieur du mouvement. Le tiers temps a été proposé par des membres de stagiaire impossible, ce n’était pas gagné d’avance. Il faudra tendre à la création d’une coordination avec des délégués mandatés d’AG, comme dans les derniers mouvements étudiants, et tisser des liens avec le 1er degré, ainsi qu’avec les étudiants du supérieur.
Ce n’est pas un hasard si la revendication de l’abrogation de la loi de masterisation a été votée massivement en AG IDF : à cette AG étaient présents beaucoup d’anciens étudiants qui ont participé au mouvement contre cette masterisation, et qui n’ont pas changé d’avis sur la question. Ce qui est déterminant aujourd’hui, c’est ce qu’on va être capable d’arracher dès cette année sur les conditions de travail, ce qui mettrait du plomb dans l’aile de cette loi. Propos recueillis par Grégory Bekhtari [(
Le retour d’une pédagogie collective ?
A Paris, le SNUipp et le GFEN (groupe français d’éducation nouvelle) organisent un cycle pour les stagiaires et les enseignants en début de carrière. L’objectif est de reconstruire une solidarité professionnelle entre enseignants, de reconstruire une réflexion pédagogique collective. L’idée est que si l’État refuse de prendre en charge la formation, il y a un grand danger, mais aussi une opportunité ouverte par ce vide : celle de reconstruire des mouvements pédagogiques, influents, qui portent une vision alternative de l’école. Les enseignants ne peuvent pas être neutres face à l’école, face à la reproduction des classes et des inégalités sociales. Au contraire, l’engagement syndical et pédagogique doit conduire à remettre en cause cette école et cette société.)] [(A l’impossible, nul n’est tenu… Résistance !
Une réforme inadaptée, une formation bâclée. Ni les stagiaires ni les formateurs ne sont satisfaits.Un atterrissage « amorti » dans le premier degré, avec des situations très disparates. Et pour le second degré, un baptême du feu avec prise de responsabilité immédiate. La situation sera d’ailleurs la même dès l’an prochain dans le premier degré. Sans oublier la situation des PEMF qu’on a mené en bateau alors que l’Education Nationale se désintéresse complètement des aspects professionnalisant de la formation de ses personnels qui sont réduits à un simple tutorat : quelques stages non obligatoires suivis d’un compagnonnage !
De plus, la décision de réduire le nombre de postes au concours vise bien à préparer la suppression de milliers de postes d’enseignants et entraînera une remise en cause de l’existence des concours et aussi du statut de la fonction publique.
Cette réforme vise aussi à faire revenir la précarité dans l’enseignement du premier degré en faisant appel aux étudiants en master pour couvrir les postes.
Ces dégâts, l’Ecole Emancipée les avait anticipés et dénoncés. Ne parlons même pas de l’alibi de la réforme : la « revalorisation », qui n’a évidemment pas eu lieu ! L’Ecole émancipée regrette que la FSU se soit laissée aller à n’écouter que les sirènes qui juraient de protéger telle ou telle catégorie de personnels.
Cette réforme est une calamité, c’est pourquoi il faut continuer à lutter ! Mylène Denizot)]