Fonctionnaires : quels liens avec leurs syndicats ?

En décembre 2018, les élections professionnelles se sont tenues pour
la deuxième fois simultanément dans les trois fonctions publiques. Les
résultats montrent surtout des évolutions lentes et une stabilité des
positions respectives des organisations syndicales dans l’ensemble des
trois versants de la Fonction publique. Le choix des électeurs s’est,
comme en 2014, porté sur les trois principales confédérations
syndicales du privé : CGT, CFDT et FO qui, sur l’ensemble de la
Fonction publique, totalisent encore près de 60 % des suffrages
exprimés (80,2 % dans la fonction publique hospitalière, FPH et 67,5 %
dans la fonction publique territoriale, FPT). La fonction publique
d’état (FPE) apparaît de nouveau comme une exception avec un paysage
syndical plus éclaté autour de cinq organisations, FSU et UNSA en plus
des trois susnommées, groupées entre 14 et 17 %. Aucune des autres
organisations présentes n’atteint 10 %.

Les commentaires médiatiques des élections professionnelles, du privé
comme du public, sont souvent l’occasion de mettre en scène
l’affrontement entre organisations syndicales dites « réformistes » ou
« d’accompagnement » et celles présentées comme « contestataires » ou
de « transformations sociales ». A contrario, cette stabilité des
fédérations syndicales représentatives dans la Fonction publique
confirme plutôt les études précédemment produites par les sociologues
et politistes qui insistent sur le fait que les votes des agents
publics aux élections professionnelles ne sont pas le prolongement
direct et mécanique de convictions politiques mais reflètent plus les
influences et traditions syndicales locales, en particulier dans les
fonctions publiques territoriale et hospitalière, moins dans la FPE où
les agents sont davantage mobiles. Les analyses inédites de Tristan
Haute sur les élections professionnelles dans le secteur privé
montrent également que l’évolution des résultats des différentes
organisations syndicales obéit peu à des logiques partisanes de court
terme et davantage à des évolutions lentes de la composition du
salariat et de la structuration des différents secteurs d’activité
(1).

Une évolution électorale inquiétante

Pour autant, ces analyses n’expliquent pas le second fait marquant de
ces élections, et le plus inquiétant : la poursuite, voire
l’accélération dans la FPH, de l’érosion de la participation
(cf. tableau). Depuis 2011, la moitié seulement des inscrits participe
aux élections des comités techniques ; en 2018, le taux de
participation est pour la première fois passé légèrement en dessous de
la barre des 50 %, 49,8 % exactement dans l’ensemble de la Fonction
publique. Cette baisse doit bien sûr être nuancée, la désaffection
étant plus ou moins importante selon les administrations, les
établissements ou les régions. Dans la FPE, par exemple, la
quasi-totalité des administrations pour lesquelles le taux a été
inférieur à 50 % relève de l’éducation nationale et de l’Enseignement
supérieur et de la Recherche mais les effectifs de ces structures
représentent 55 % des inscrit-es (45,6 % pour le seul ministère de
l’éducation nationale). Les taux de participation s’échelonnent de 67
à 90 %, 73,3 % au ministère des Finances ou 81,9 % à l’Intérieur.

Cette prise de distance des personnels vis-à-vis de leurs
représentant-es syndicaux, également constatée dans le secteur privé,
à de multiples causes mais certaines, propres à la Fonction publique,
méritent que l’on s’y arrête. Tout d’abord, la participation dépend de
la qualité du déroulement du scrutin. Or, de nombreux
dysfonctionnements dans l’organisation des opérations électorales,
déjà dénoncés en 2011 et 2014, ont cette fois encore pu être
constatés : difficultés pour établir les listes électorales,
acheminement tardif du matériel de vote par correspondance et surtout,
mise en place du vote électronique. L’impact négatif de ce dernier a
été particulièrement visible à l’éducation nationale où le vote
électronique a été généralisé en 2011, faisant s’effondrer la
participation dans les gros établissements scolaires. Les fédérations
syndicales de l’enseignement ont depuis intégré dans leur campagne
électorale des mesures pour lutter contre les effets du vote
électronique et la participation a légèrement remonté dans les deux
derniers scrutins.

Plus profondément, le fait de voter est directement associé aux
représentations que les agents se font de l’utilité et de l’importance
des commissions dont ils élisent les représentants. C’est bien la
question de l’utilité du vote qui est posée par la baisse de la
participation. Depuis la loi de 2010, la représentation des
organisations syndicales aux différents Conseils de la fonction
publique et leur représentativité (donc les moyens dont elles
disposent) sont fonction des résultats des élections des représentants
du personnel aux comités techniques de proximité (CT) et non plus aux
CAP. D’une part, cette mise au centre des CT constitue un passage
d’une logique de corps à une logique de communauté de travail
(ensemble des catégories de personnel travaillant au sein d’une même
entité). Dans ce domaine, la loi entérine un mouvement antérieur et
profond conduit par l’administration pour passer d’une gestion
collective et centralisée des carrières à une gestion plus
individualisée qui a pour effet, en quelque sorte, de déposséder les
CAP de leur participation à la gestion des ressources humaines. Bien
que les CAP soient des instances consultatives, les syndicats du
public, tout particulièrement à l’éducation nationale, y avaient
imposé une co-élaboration de critères collectifs de gestion des
carrières individuelles des agents(2). C’est notamment sur ce lien
particulier avec les fonctionnaires qu’ils ont construit leur force,
leur capacité revendicative, voire leur légitimité.

Comité technique versus CAP

En 2010, les organisations syndicales ont vu des avantages à ce
changement pour des syndicats plus habitués à penser paritarisme,
statuts, spécificités catégorielles que batailles d’ensemble et prise
en compte régulière des précaires. Mais pour les électeurs, les
finalités distinctes des deux instances – participation à la gestion
des carrières individuelles pour les CAP et consultation sur
l’organisation des services pour les CT – a pesé sur leur choix de
voter. Ce changement coïncide, en effet, avec une rupture dans la
participation aux élections. Si ce taux était en recul quasi constant
depuis les années 1970, il était encore de près de 70 % sur le cycle
2008-2010 (cf. tableau 1). La chute enregistrée en 2011 a constitué
une rupture d’une importance inattendue. Elle témoigne certainement du
moindre intérêt des fonctionnaires pour l’instance comité technique
par rapport aux CAP.

D’autre part, le fonctionnement des CT nourrissait de longue date de
nombreuses critiques dénonçant leur formalisme. Le fait d’avoir, en
2010, rapproché leur fonctionnement de celui des comités
d’entreprise : représentant-es élu-es et non plus désigné-es par les
syndicats, attributions étendues et suppression du paritarisme, ne
semble pas avoir les effets escomptés. C’est rarement dans ces
instances que les représentant-es syndicaux parviennent à bloquer, ni
même à modifier les projets de l’administration. Dans un contexte
particulièrement défavorable au dialogue social – réduction des
effectifs sur fond de contraintes budgétaires, changements
organisationnels importants, remise en cause imposée de la place du
statut au travers de l’individualisation de la gestion des personnels
-, ces instances n’apparaissent pas comme un outil pour l’action. Plus
généralement, les organisations syndicales se sont révélées
impuissantes à lever le verrou budgétaire, que ce soit en termes
d’effectifs ou de rémunération. Le tout dernier mouvement des « stylos
rouges » à l’éducation nationale, qui s’est développé en dehors des
canaux de représentation traditionnels, pose encore plus directement
la question de l’utilité des syndicats pour s’opposer efficacement aux
réformes de la fonction publique et souligne l’urgence pour ceux-ci de
mener une réflexion sur les fondements de leur relation avec les
personnels. ●

Catherine Vincent (IRES) (3)

1) T. Haute (2018), « évolutions du paysage syndical et du salariat :
analyse des élections aux comités d’entreprise (2009-2016)», La
Revue de l’IRES, numéro spécial « Comités d’entreprise : quelle
postérité »,
n° 94-95,http://www.ires.fr/index.php/publications-de-l-ires/itemlist/category/298-n-94-95.

2) M. Tallard, C. Vincent, « L’action syndicale au défi de la gestion
locale des personnels. Tensions à l’administration fiscale »,
Sociologies pratiques, n° 19, 2009.

3) Sociologue, spécialiste des relations professionnelles dans le
public et le privé, chercheure à l’IRES (Institut de recherches
économiques et sociales). L’IRES est une association financée par
des fonds publics et gérée par les organisations syndicales
représentatives des salariés.