- CDFN septembre 2024, intervention de l’école émancipée par Grégory Bekhtari –
Laissez-moi ce matin vous conduire là où vous n’auriez sans doute jamais voulu aller vous aventurer de vous-mêmes : au plus profond de la psyché de Gérald Darmanin.
Je vous cite ce qu’il a dit hier lors de la passation de pouvoir en quittant le ministère de l’Intérieur :
«Je m’appelle Gérald Moussa Jean Darmanin. À la maternité, mon père voulait écrire Moussa Darmanin, du nom de mon grand-père tirailleur algérien qui avait servi la France. Il est assez évident que si je m’étais appelé Moussa Darmanin, je n’aurais pas été élu maire et député et sans doute je n’aur ais pas été nommé ministre de l’Intérieur du premier coup»
Ce moment de vérité exceptionnel est particulièrement surprenant venant d’un politique comme Darmanin. Le fond de ce qu’il dit est pourtant d’une confondante banalité, d’abord pour les victimes du racisme, et, en 2024, on s’en doute, bien plus largement dans l’esprit de la population. Alors pourquoi cette vérité malheureusement banale nous choque-t-elle dans la bouche de Darmanin, pourquoi tranche-t-elle autant avec ce qu’on attend de lui et même de la grande majorité du personnel politique, en particulier à droite et à l’extrême droite ? Parce que ce qu’il s’est autorisé à faire de façon aussi inattendue révèle une autre vérité beaucoup plus occultée : loin de lutter activement contre le racisme structurel qui agit partout comme un plafond de verre dans les carrières et l’accès à des postes à responsabilité, la plupart des gouvernements successifs s’emploient cyniquement à préserver le déni à ce sujet, à dissimuler la vérité furtivement dévoilée ici par Darmanin : le racisme est un système de pouvoir et ses effets maintiennent et reproduisent les hiérarchies sociales, à quelques exceptions près, dont on attend qu’elles se taisent sur cette vérité.
C’est pourquoi on n’est pas surpris en revanche que le nouveau ministre de la lutte contre les discriminations, Othman Nasrou, ait participé lui aussi à maintenir ce déni, comme l’illustre une déclaration qu’il a tenue il y a quelques années et qui refait surface en ce moment : « Je ne dis pas qu’ils n’existent pas, [mais]le racisme et l’homophobie sont l’apanage d’une infime minorité.»
Taire la vérité du racisme et diffuser la fiction selon laquelle le racisme n’est qu’une tare qui atteint une minorité des individus était une condition sine qua non pour qu’une victime du racisme comme lui, une exception dans l’ordre injuste établi, puisse parvenir où il est aujourd’hui.
Taire la vérité sur le racisme structurel, sous toutes ses formes (négrophobie, islamophobie et racisme anti arabe, racisme anti asiatique, romophobie, antisémitisme) dans une société où il est pourtant traditionnellement considéré comme un mal social, c’est la meilleure méthode pour ne pas le combattre et assurer sa préservation. Et c’est d’autant plus grave et dangereux dans un pays où l’extrême droite est aux portes du pouvoir et où le racisme est de plus en plus toléré dans tous les secteurs de la société.
Dans le monde du travail en particulier, nier le racisme structurel et refuser les mesures nécessaires comme le fait le nouveau gouvernement, c’est le meilleur moyen de perpétuer une division, un clivage profond entre une majorité des salarié·es et une minorité victime du racisme pour mieux affaiblir les résistances et entraver l’unité indispensable aux mobilisations impulsées par les syndicats. C’est la raison pour laquelle les syndicats doivent dénoncer la réalité de ce racisme structurel : discriminations à l’embauche et dans l’exercice du travail, harcèlement, blocage de carrière, inégalité salariale, surexploitation. Les victimes du racisme au travail doivent pouvoir compter sur les syndicats pour combattre le racisme comme un problème spécifique à leur condition de travailleur/euses perçu·es comme racisé·es, sans avoir à se tourner vers d’autres associations ni se résoudre à penser que les syndicats leur sont inutiles sur cette question si l’on veut éviter qu’iels ne se détournent complètement d’eux sur toutes les questions professionnelles. Cela veut dire soutenir les résistances et les demandes qui existent déjà sur ce sujet et élaborer de nouvelles revendications et de nouvelles actions. Pour ce faire, la FSU compte s’engager dans une campagne intersyndicale contre toutes les formes de racisme dans le monde du travail. Il y a urgence, car gagner des batailles contre le racisme structurel dans le milieu du travail est aussi une clé pour faire reculer l’extrême droite.