Contribution de l’éé aux débats du CN de la FSU-SNUipp de novembre 2023
Le monde capitaliste est en crise. En crise face à une croissance qu’il voulait infinie et qui se heurte à la réalité et aux luttes écologistes. En crise face à une politique austéritaire qui conduit à une crise économique. En crise face à une captation toujours plus grande des richesses qui provoque des explosions sociales et des grèves, y compris victorieuses comme dans l’automobile ou le cinéma aux États-Unis. En crise face aux contestations légitimes de l’ordre patriarcal, du colonialisme, du racisme… de toutes les barrières et divisions dont il a besoin pour maintenir le pouvoir dans les mains d’une infime minorité. En crise, ce monde capitaliste se radicalise et, sous diverses formes et manières, « s’extrême-droitise ».
Le retour du “choc des civilisations”
Les crimes et atrocités du Hamas, qui visaient à semer la terreur en Israël, ont mis le peuple palestinien et ses soutiens en grande difficulté. Mais cela ne justifie pas de reprendre la lecture du conflit israélo-palestinien telle que répétée ad nauseam dans les médias et une grande partie de la classe politique dont la Macronie. Le conflit israélo-palestinien – ou même le conflit Hamas/Israël auquel certain·es essaient de le réduire – n’a pas commencé le 7 octobre, loin de là. Il s’inscrit dans plus de 75 ans de tragédies. Le débat qui s’est noué autour de la qualification des attaques du Hamas a paralysé certaines organisations qui craignaient que le refus de l’emploi du mot terrorisme ne les classe comme soutien, au moins implicite, au Hamas. En l’occurrence ce débat autour de la dénomination « terroriste » a eu pour but, pour nos adversaires politiques, de déshumaniser les auteur·trices, sans aucun débat possible sur la nature des crimes commis. En jouant sur la sidération et les émotions face aux massacres, le gouvernement israélien et ses soutiens ont ouvert la possibilité à la punition collective au nom d’un « droit à la défense incontestable », se plaçant dans la continuité de la théorie du « choc des civilisations ». Cette prétendue guerre civilisationnelle gommerait ainsi l’aspect colonial du conflit. La colonisation elle, loin des caméras, se poursuit en Cisjordanie avec des dizaines de palestinien·es tué·es. Les plus de 11 000 mort·es de Gaza ajouté·es aux victimes du 7 octobre seront, sans justice, le terreau des tragédies futures. .
En France, cela a donné lieu à une manœuvre des président·es des chambres contre l’antisémitisme, particulièrement suivie, qui attise une forme de désunion nationale en ne mobilisant pas contre tous les racismes.
Cela engendre un climat d’instabilité et de tensions, pouvant passer implicitement pour un soutien à la guerre menée par Israël et affirmant par là, l’appartenance à un pseudo bloc occidental « de la civilisation et de la démocratie » basé sur la lutte contre le terrorisme. Dans cette logique, l’exécutif a tenté d’interdire les manifestations de soutien au peuple palestinien et pour la paix en les faisant passer pour un soutien au Hamas et à son attaque du 7 octobre – voire pour de l’apologie du terrorisme. Cette honteuse tentative, heureusement cassée par la justice administrative, montre la pression exercée sur les libertés pour museler les voix dissonantes. Le gouvernement profite de cette occasion et de la consternation pour « extrême-droitiser » son discours en s’affirmant comme recours face à l’islamisme, duquel découlerait forcément le terrorisme. La poursuite du massacre des gazaoui·es, les crimes de guerre israéliens et la pression mise par la rue ont mis, pour le moment, en échec cette politique. Mais le gouvernement tente désormais d’instrumentaliser la très juste lutte contre l’antisémitisme, laissant même l’extrême-droite se joindre aux manifestations. L’abjection de ces actes commis le 7 octobre par le Hamas est incontestable et leur condamnation indispensable, mais elle ne saurait autoriser à confondre le soutien à la cause palestinienne avec l’antisémitisme.
La nécessité de se mobiliser pour imposer la paix et le droit
Face à ces catastrophes, il est impératif de construire un mouvement de solidarité le plus large possible avec le peuple palestinien, comme le fait la FSU dans le cadre du collectif national pour une paix juste et durable.
Il s’agit de résister au piège d’une union nationale reposant sur la logique de la « guerre à la terreur » ou d’instrumentalisation de l’indispensable lutte contre l’antisémitisme, comme contre tous les racismes, pour proposer à une échelle de masse, une alternative à la politique du gouvernement. Ce cadre là est fondamental.
A l’aube d’une potentielle explosion en guerre régionale, ou d’un génocide, il y a urgence à tout mettre en œuvre pour éviter les pièges tendus et réaffirmer notre attachement à la justice et aux droits de toutes et tous.
L’extrême-droitisation du pouvoir
À ce contexte de brutalisation du monde et des peuples, par les élites, la France macroniste apporte son écot. La majorité parlementaire instable issue des urnes, pousse l’exécutif à chercher des alliances pour poursuivre sa politique au service des dominant·es. Avec une violence antidémocratique toujours aussi insupportable et
dangereuse, c’est un seizième 49-3 que le gouvernement vient d’utiliser pour faire passer son budget d’ajustement de fin de gestion alors que se met en place son impopulaire et injuste réforme des retraites. Ce budget, comme celui en discussion pour 2024, ne montre aucune inflexion des politiques précédentes : pas d’augmentation massive des salaires, pas d’indexation sur l’inflation, pas d’augmentation des aides sociales ni des pensions…
Le mouvement de baisse des dépenses publiques se poursuit parce qu’il y une obstination idéologique à ne pas mettre à contribution les ménages les plus aisés comme les bénéfices des entreprises. Et comble du cynisme, les réformes de 2023 de l’assurance chômage ou celle des retraites continuent à être présentées comme des réformes justes et nécessaires, avec une culpabilisation des plus pauvres.
Un 49-3 aveu de faiblesse donc, mais qui ne peut masquer des alliances qui se créent sur tant d’autres sujets. Loin des préoccupations de la population, le Sénat a débattu, à l’initiative d’une sénatrice LR, soutenue par le RN et Renaissance d’une proposition de loi visant à faire interdire l’usage de la très dangereuse écriture inclusive. Cette proposition de loi – adoptée depuis – a trouvé écho dans un discours du Président le 30 octobre appelant à « ne pas céder aux airs du temps ».
De la même façon, le projet de loi « immigration et intégration » qui se discute actuellement au Sénat montre un accord total, sur fond brun, entre la majorité macroniste et les parlementaires LR, RN et Reconquête. Ainsi, l’aide médicale d’État a été supprimée, l’accès aux allocations familiales et à l’APL restreint et les possibilités d’expulsion élargies… tout en facilitant, sous certaines conditions, l’obtention de papiers à celles et ceux qui auraient un travail. Une vision qui mêle représentation de l’étranger·e profiteur·euse et/ou inadapté·e aux « valeurs françaises », délinquant·e voire potentiel·le terroriste, et une vision utilitaro-libérale de la main d’œuvre immigrée.
Une école victime de cette recomposition
L’école n’est pas épargnée par le néolibéralisme réactionnaire. Avec plus de 1 700 pertes d’emplois pour le premier degré, le projet de budget 2024 marque un renoncement supplémentaire à toute ambition de lutter contre les inégalités scolaires, corrélées à des déterminismes sociaux. Aucune perspective non plus d’amélioration des conditions de travail et d’apprentissage via la baisse du nombre d’élèves par classe, l’abondement du remplacement, la reconstitution des RASED…
La mise en place du pacte confirme une division des personnels. Et ce, dans un contexte qui multiplie les effets de saturation liées à la charge de travail et les injonctions paradoxales, créant des situations de souffrance auxquelles l’institution reste sourde.
Enfin, les perspectives d’effort salarial n’existent pas alors que l’inflation gomme toutes les mesures des dernières années, déjà insatisfaisantes par bien des aspects.
Par contre, la contractualisation des moyens, elle, s’étend : les TER, CLA ou encore le Pacte voient leur budget augmenter. Preuve une fois encore que la question budgétaire est bien un outil au service d’un projet idéologique global, commun avec les droites de l’hémicycle, de transformation structurelle de l’école vers plus de tri social.
Dans les contenus aussi les digues sautent. Le quinquennat Blanquer avait clairement orienté la politique publique du ministère dans la construction d’une école réactionnaire, ségréguant les acquisitions scolaires et reprenant à son compte tous les marqueurs idéologiques les plus à droite, à l’opposé de tout projet de démocratisation scolaire et d’émancipation.
Le ministre actuel poursuit et amplifie cette voie, soutenu par la droite comme l’extrême-droite. Obsession autour des prétendus fondamentaux, promotion de l’individualisation des parcours et des apprentissages, mise en avant du redoublement, de la fin des cycles, des groupes de niveau, d’une autorité punitive ou de postulats pédagogiques s’affranchissant des conditions d’une acquisition effective des savoirs par les élèves des classes populaires…
Avec « l’exigence des savoirs » et la mise en acte du Grenelle, Attal reprend l’offensive blanquérienne contre le service public d’éducation avec pour conséquences prévisibles la poursuite de la perte de sens du métier, de l’exacerbation des inégalités, et de la promotion de valeurs en rupture avec un projet émancipateur et démocratisant que notre syndicat doit, dans l’unité la plus large, continuer de porter.
Quant à l’accès de toutes et tous à l’école, la phase 2 de l’école inclusive va donner un cadre légal consacrant « l’égalité des chances » et non l’égalité des droits, ciblant l’accueil au détriment des apprentissages. Un recul fondamental et discriminatoire à combattre.
Le champ scolaire, à l’instar du champ social et du champ sociétal, montre ce que le « ni droite ni gauche » macroniste est une fiction : en période de crise, les dominant·es feront toujours le choix du maintien de leur pouvoir.
Socialement, dans nos métiers, face à Macron et à son monde, construire résistances et alternatives
De nombreuses luttes et résistances existent.
Du refus de l’autoroute A69, à l’annulation de la dissolution des Soulèvements de la terre, des grèves avec des manifestations massives contre la réforme des retraites en passant par le refus du pacte et des luttes salariales victorieuses dans certaines entreprises ou les mobilisations féministes… Elles démontrent que résister se conjugue au présent.
Cela ne signifie pas une mise en mouvement systématique dans notre secteur, le 13 octobre nous l’a montré. Mais c’est dans ce sens que le syndicalisme de lutte et de transformation sociale doit tenir le cap et développer la combativité et la confiance dans les luttes collectives. Mettre en mouvement nos collègues, ouvrir des fronts variés est de notre responsabilité syndicale : sur les conditions de travail, sur les salaires ou sur le métier, de façon plus corporatiste ou plus large, cette année ne sera pas une année de « pause » du mouvement social au vu de la conjoncture politique, du risque fasciste des urgences sociales et climatiques.
L’affirmer et le construire est une tâche d’ampleur mais accessible.
Tout en répondant présent chaque fois que des cadres communs opposés à la politique du gouvernement se constituent, nous avons une responsabilité particulière à initier ce travail unitaire dans le champ scolaire.
Des fronts et des possibles sont donc à construire, poursuivre rejoindre ou à inventer, sans sectarisme. Un investissement fédéral, intersyndical et ouvert sur le mouvement social sans exclusive, y compris des organisations politiques est une nécessité : l’alternative se crée dans un mouvement dont les contours sont aujourd’hui inconnus… mais qu’il faudra saisir.
Du courage dans l’affrontement et de la volonté dans sa construction : on ne naît pas alternative au néolibéralisme réactionnaire, on le devient !
Lutter contre l’objectivation patriarcale des femmes
Dans un monde remilitarisé, où les régimes autoritaires et d’extrême-droite prospèrent, symptômes d’un masculinisme exacerbé, les vies, les droits des femmes sont menacés et les violences exercées sur elles sont multiples.
Lors des guerres et conflits, parmi les victimes civiles, les femmes et les filles sont majoritaires du fait de leur statut social et de leur sexe. Elles subissent le recours systématique au viol, au meurtre, à la torture, à l’esclavage sexuel, aux grossesses et stérilisations forcées, aux déplacements contraints… Au delà de leur statut de victimes, elles assurent la survie de leur famille et oeuvrent à la défense de la paix.
Dans les pays aux régimes autoritaires ou totalitaires, où leurs droits sont bafoués et leurs corps entravés, elles se révoltent au péril de leur vie contre l’ordre patriarcal imposé.
En France, la stagnation statistique des violences sexistes et sexuelles est révélatrice de la permanence du patriarcat. Tous les ans plus de cent féminicides sont commis. Cette constance symbolise le fait que le système de domination est encore puissamment ancré dans la société. La domination masculine s’exerce d’abord dans une violence symbolique qui autorise toutes les autres – économique, morale, physique, sexuelle, meurtre. Les attaques contre l’usage de l’écriture inclusive visent à maintenir une invisibilisation des femmes dans la langue, les retirant de la pensée, en tant qu’égales des hommes. Mettre en évidence l’égalité dans le langage, c’est lutter contre un continuum des violences et participer à inverser la tendance.
Les discours d’intention sur l’égalité femmes/hommes, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles masquent mal une atonie politique et des moyens bien trop insuffisants. Les mobilisations du 25 novembre constituent un cadre incontournable à investir massivement pour porter l’exigence d’une loi cadre et de plusieurs milliards afin d’éradiquer les violences faites aux femmes. C’est une étape importante dans la construction de la grève féministe.
Peser pour une amélioration de la formation initiale
Attal n’aura pas attendu longtemps pour annoncer une énième réforme de la formation initiale, dont l’objectif principal est de remédier à la crise de recrutement. Une nouvelle fois aucun véritable bilan n’est fait de la réforme précédente, des dispositifs d’AED prépro et PPPE. Mais, fait rare, le nouveau scenario privilégié par le ministère semble presque inspiré des mandats de la FSU-SNUipp !
Le MEN propose en effet : concours en fin de L3, entrée progressive dans le métier pendant deux années post-concours avec rémunération et volonté de non décrochage entre 1er et 2nd degré.
Force est de constater qu’il a pris la mesure de l’impact négatif de la « formation initiale sauce Blanquer » sur le recrutement, ainsi que du sentiment d’impréparation des collègues. Alors que les GT attractivité sont en cours, restons toutefois vigilant·es et à l’offensive : le recrutement en L3 ne doit pas laisser la main mise à l’employeur sur la formation, qui doit être ambitieuse, pluridisciplinaire et largement adossée aux recherches universitaires. De même, l’obtention du master doit être garantie. Soutenons nos mandats de non emploi des stagiaires comme moyens d’enseignement, rappelons notre défense d’un métier de conception qui se construit dans des allers-retours entre théories et pratiques et qui ne peut être effectif qu’en donnant le temps et les moyens de le penser.
Alors que toutes les OS semblent valider ce projet de recrutement plus favorable à l’entrée dans le métier, la FSU ne peut se dissocier et s’isoler.
Forte de son poids, la FSU-SNUipp doit donc continuer, au sein de la fédération, de défendre ses solides mandats de recrutement, formation, qualification, rémunération, entrée progressive,et démocratisation d’accès à la profession. Elle doit les imposer pour que la crise actuelle ne s’accentue pas et engendre toujours plus de précarisation et de contractualisation du métier.