La question de l’évaluation des enseignant-e-s est au cœur de l’actualité syndicale, avec un projet de ré- forme dont les détails ne sont pas encore tout à fait définis mais qui, en l’état actuel des choses, ressemble fort à un nouveau pas dans la dérive managé- riale (voir l’édito du précédent bulletin).
Comme toujours, la question qui se pose ici est : faut-il se limiter à défendre
le système actuel (et encore… quand le S4 le veut bien) ou persister à défendre
contre vents et marées une position progressiste ? C’est parce que nous croyons que la première stratégie est une impasse n’amène qu’à reculer petit à petit que nous avons décidé d’écrire cet article.
Pour en finir avec l’inspection
Il y a quelques mois, le secteur collège du SNES Créteil avait invité Paul Devin, secrétaire général du sy dicat FSU des inspecteurs (le SNPI) à venir nous enseigner la liberté pédagogique. Ce fut l’occasion d’en- tendre sa vision du rôle des inspecteurs-trices et de la façon dont devrait se passer une inspection : une fois le minimum de cadre institutionnel posé (pour garantir l’aspect national de l’Ecole), l’IPR serait là pour guider et conseiller l’enseignant-e dans l’exercice de sa pleine liberté pédagogique, dans une enrichissante « controverse professionnelle », d’égal-e à égal-e.
Magnifique, mais dans le monde réel ? Nous savons que nous en sommes bien loin. Illégitime, inutile et né- faste sont trois mots qui pourraient mieux caractériser le système de l’inspection tel que nous le subissons. Illégitime parce qu’il émane de personnes qui n’ont qu’un rapport souvent très ancien, voire inexistant, avec nos professions. Inutile parce qu’il est totale- ment incapable de répondre à nos problématiques qu’elles soient matérielles ou pédagogiques. Et né- faste, parce que l’inspection crée une situation d’infantilisation et d’humiliation qui génère, même chez les enseignant-e-s les plus aguerri-e-s, de la souffrance.
Alors certes, quelques inspecteurs-trices bienveil- lant-e-s existent. Peut-être même sont-ils ou elles encarté-e-s au SNPI. Mais, sans même questionner la dimension pa- ternaliste de cette sempiternelle no- tion de bienveillance, ne sont-ils et elles pas la caution morale d’un sys- tème profondément et structurelle- ment vicié ? En d’autres termes, doit- on se contenter de réformer le sys- tème actuel d’évaluation à la marge, ou le révolutionner ?
L’évaluation par les pairs, l’évaluation collégiale
L’évaluation doit faire partie de notre environne- ment de travail, au même titre que la formation ini- tiale et continue. Prof est un métier qui s’apprend, au début et tout au long de sa carrière, notamment grâce au regard d’autres personnes qui vont per- mettre les remises en questions nécessaires afin que nous puissions améliorer notre travail. Mais nous le savons, ce regard de l’autre est bien plus utile quand il est celui de collègues que venant de l’inspecteur.
Car l’expertise sur le métier réside entre les mains de ceux qui le pratiquent. Pour pouvoir discuter pratique professionnelle, il faut être soit même un- e praticien-ne, c’est-à-dire un-e enseignant-e en activité, l’un-e d’eux, à tour de rôle, pourrait par exemple être déchargé-e en partie pour animer un collectif de réflexion pédagogique entre col- lègues. Collectifs de travail, discussions à partir de captation vidéo, clinique du travail… Ces modèles ont déjà été expérimentés, souvent hors du cadre de l’institution, et ils peuvent servir de modèle à une refonte radicale des modalités d’inspection, dans leurs formes et dans leurs objectifs : il ne s’agirait plus de faire passer une idéologie et une réforme sur un mode infantilisant, mais de mettre en commun notre activité et d’y réfléchir ensemble, notamment dans une perspective de réflexion didactique et pédagogique, au service de l’émancipation des élèves, mais pas seulement. Le but doit être de permettre à chacun-e des enseignant-e-s d’appréhender sa ou son activité dans toutes ses dimensions, d’en voir les tensions, les conflits, les activités empêchées ou sus- pendues, d’entrevoir les possibles. Bref, de restaurer la possibilité de reprendre la main sur notre métier, a contrario d’un système actuel qui favorise l’auto-dis qualification.
Evidemment, tout cela
suppose de supprimer le
lien entre évaluation et
gain pour la carrière, de
cesser de se référer à une
illusoire « méritocratie »,
de casser les mécanismes délétère de mise en conurrence des collègues et de revoir de fond en comble le statut spécifique d’inspecteur-trices (en les faisant
retourner à leurs activités d’enseignement, ce qui per- mettrait au passage de résoudre en partie la pénurie de profs…)
C’est un enjeu syndical essentiel dans la mobilisation actuelle contre les décrets évaluation, et aussi en vue des congrès de l’année prochaine. En effet, au dernier
congrès académique, l’amendement proposé par l’Ecole Emancipée sur une inspection qui ne soit plus le fait d’inspecteurs-trices déchargé-e-s de cours avait obtenu la majorité. Il s’agit donc de construire sur cette victoire afin de faire bouger les lignes à l’intérieur de notre syndicat.
Sabrina Camoreyt, Raphaël Andere, Véronique Servat.