États-Unis : retour sur la grève des scénaristes

Régulièrement, la Writers Guild of America (WGA) appelle ses membres à la grève. Avant 2023, la dernière avait eu lieu en 2007. La puissance de la WGA a fait perdre 5 milliards de dollars aux grands studios ! Pour comprendre cette puissance, il faut savoir qu’aux États-Unis, la propriété intellectuelle d’un film appartient à celui ou celle qui l’a écrit et non à celui ou celle qui l’a réalisé1. Cette grève a duré 148 jours (du 2 mai au 27 septembre) et a été suivie par les 11 500 membres de la WGA avec piquets de grève devant les studios : Amazon, MGM, CBS, Disney, Netflix, Paramount, HBO, NBC Universal…

L’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) menaçait directement une partie des auteur·rices. Il fallait, face à l’AMPTP (Alliance of Motion Picture Television Producers), protéger celleux qui écrivent et qui créent. Les enjeux dépassaient la seule profession des scénaristes de Hollywood. En effet, la tentation est grande pour les studios de faire réécrire certains scénarios par l’IA. Au passage, notons qu’il s’agit de réécriture, pas de création. L’IA ne peut faire que ce qu’un être humain lui demande. Il y a donc toujours besoin de créateur·rices, mais à partir du moment où les studios faisaient appel à l’IA, cela diminuait d’autant la rémunération des scénaristes. La WGA a obtenu2 :

✔ l’IA ne pourra pas écrire ou réécrire du contenu littéraire et le contenu qu’elle génère ne sera pas considéré comme un matériel source ni pouvant porter atteinte au crédit d’un auteur ou à ses droits.

✔ Un·e auteur·rice pourra utiliser l’IA dans son travail d’écriture, à condition qu’iel respecte les politiques applicables de l’entreprise. Cette dernière ne pourra pas exiger l’utilisation d’un logiciel d’intelligence artificielle par l’auteur·rice.

✔ La société devra informer l’auteur·rice si des documents ont été générés par IA ou intègrent du contenu artificiel.

Cela va au-delà des intérêts de la WGA. Cet accord protège celleux qui créent et c’est donc bien une intelligence humaine qui continuera à écrire les scénarios des films et des séries.

L’autre point de discorde entre la WGA et l’AMPTP tournait autour du streaming. En effet, jusque-là, les residuals (compensations secondaires) étaient au centre des préoccupations de la WGA. La télévision traditionnelle garantissait une rémunération complémentaire à chaque nouvelle diffusion ; le streaming fonctionnait avec une rémunération unique sur la vente du programme aux plateformes, qu’importe sa popularité. Dorénavant, le bonus sera lié au succès, ce qui signifie que les scénaristes gagneront plus sur certaines séries. La WGA a obtenu que dorénavant sur les séries, il y ait automatiquement plusieurs scénaristes crédité.es, le minimum étant de trois et la durée des contrats a été fixée à dix semaines minimum.

Les scénaristes ont été rejoint·es par les acteur·rices de la Screen Actors Guild‐American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA), syndicat étatsunien représentant plus de 160 000 acteur·rices, figurant·es et professionnel·les des médias, travaillant pour le cinéma, la télévision, la publicité, les jeux vidéos, la radio, la musique. Iels ont participé aux piquets de grève de la WGA, ce qui a largement contribué à bloquer l’activité des studios. Cela a donné lieu à des scènes comme le soutien de Sean Penn ou Ethan Hawke en pleine conférence de presse au festival de Cannes ou, le 13 juillet, à Londres, le départ des acteurs Cillian Murphy, Emily Blunt, Matt Damon, Florence Puch et Robert Downey Jr en pleine avant-première d’Oppenheimer, expliquant qu’iels devaient préparer leurs pancartes pour la grève ! Iels ont aussi obtenu des garanties sur leurs emplois (notamment par rapport au streaming) et des augmentations de salaires importantes. ■

Olivier Sillam

1. C’était le cas en France jusqu’en 1947, date à laquelle les réalisateurs ont pris le dessus.

2. https://www.lesnumeriques.com

  • Valence, les conditions d’une catastrophe
    Le bilan humain des inondations qui ont eu lieu dans la région de Valence en Espagne, était de 277 morts dont 218 dans la communauté de Valence, le 18 novembre. En trois heures, il y est tombé l’équivalent de 21 mois de précipitations. Le phénomène de goutte froide appelé également depresion aislada en niveles alto[…]
  • Culture
    Coyote C’est un drôle de mot, « coyote », un mot voyageur qui « s’est faufilé en douce dans toutes les langues ». Un des rares issus du nahuatl, l’ancienne langue des Aztèques, utilisé, assez rarement il faut bien le dire, dans la langue française. Il sert aussi à la frontière américano-mexicaine à désigner les passeurs. C’est désormais enfin[…]
  • Consentement dans la définition pénale du viol, fausse bonne idée ?
    La proposition d’introduire la nécessité d’un consentement positif dans la définition pénale du viol suscite des débats aussi bien chez les féministes que chez les professionnel·les du droit. Par Amandine Cormier Le 8 mars 2022, la Commission européenne a proposé une directive européenne sur la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Son[…]
  • USA – après l’élection de Trump, Résister
    Donald Trump a gagné l’élection présidentielle face à Kamala Harris avec plus de 4 millions de voix d’écart. Le Parti républicain obtient la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants, alors que la Cour suprême lui est déjà acquise depuis son dernier mandat. Du point de vue institutionnel, il aura les mains libres[…]
  • Entretien avec Thomas Vescovi – Où va Israël et quelles conséquences pour les peuples de la région ?
    Les guerres au Proche-Orient s’enchaînent, multipliant les destructions et les victimes. La paix semble introuvable, la communauté internationale est absente, et les dirigeants israéliens paraissent plus déterminés que jamais à poursuivre ces guerres au Liban comme dans la bande de Gaza. Quelles sont les visées israéliennes et comment analyser les récents développements avec l’Iran ? ➤En[…]