Les premières réponses à la prise d’otage de sept salariés d’Areva et Vinci, opérée le 16 septembre dernier au Niger pour le compte d’un groupe se réclamant d’Al Qaïda, ont remis en lumière les traits caractéristiques de la présence militaire française en Afrique.
C’est par bribes que l’on a progressivement découvert l’ampleur du dispositif militaire mis en place au lendemain de cet enlèvement, comprenant notamment plusieurs centaines de soldats du COS (les forces spéciales) au Burkina, pour partie en provenance de la Mauritanie où ils n’étaient pas censés se trouver, et plusieurs dizaines de spécialistes du renseignements aérien au Niger.**Opacité complète et domaine réservé
Ces préparatifs pour une intervention aéroportée ont été décidés par l’Elysée, avalisés par un conseil de défense, mais n’ont fait l’objet d’aucune discussion publique ou parlementaire. Le secret autour des activités de l’armée française en Afrique a cette fois été justifié par la nécessité de ne pas mettre la vie des otages en danger et facilité par l’attitude « responsable » des journalistes et de l’opposition socialiste qui prévaut en pareil cas. Le choix de l’option militaire pour faire libérer les otages ne va pourtant pas de soi : non seulement elle n’est pas forcément synonyme d’efficacité, comme l’a montré la mort de Michel Germaneau en juillet, mais ses conséquences peuvent se révéler catastrophiques sur le long terme. Comme en Somalie, en Afghanistan ou en Irak, une intervention militaire étrangère au Sahel, qu’elle soit déployée sous bannière française, européenne ou américaine, renforcerait la légitimité politique de ceux que l’on prétend combattre, et pourrait transformer l’ensemble de la région en véritable poudrière.**De nouveaux tirailleurs
L’intervention française, faute d’avoir pu localiser les otages suffisamment rapidement, n’a finalement pas eu lieu. En revanche l’armée mauritanienne est, pour la deuxième fois, intervenue à la demande des autorités françaises, en territoire étranger, au Mali et en l’absence du président de ce pays. En juillet, les forces mauritaniennes, qui sont formées depuis plusieurs mois par les forces spéciales françaises, avaient été dirigées par les militaires français. Cette fois-ci, apparemment pour ne pas froisser l’Algérie qui entretient des relations troubles avec les groupes terroristes et qui prétend garder la main sur la lutte antiterroriste dans la région, les militaires mauritaniens se sont contentés d’un appui logistique. Mais il faut croire que le général putschiste Abdel Aziz n’a plus rien à refuser à l’Elysée depuis que la France a appuyé le processus électoral truqué qui a légitimé sa prise de pouvoir. Les forces spéciales françaises, qui forment également les militaires maliens, envisagent désormais d’étendre leur coopération à l’armée nigérienne. Il s’agit de faire pièce à la présence militaire étatsunienne de plus en plus envahissante dans la région sous couvert de formation à la lutte contre le terrorisme, tout en sécurisant les approvisionnements français.**Retour économique sur investissement militaire
La présence de l’armée française en Afrique est rarement déconnectée des intérêts économiques des firmes tricolores, à plus forte raison quand il s’agit d’intérêts stratégiques. Il est vraisemblable que l’Elysée verrait bien l’exploitation uranifère au Niger, d’où provient plus d’un tiers de l’électricité française et qui était jusqu’à présent sécurisée par une firme de sécurité privée (Epee) dirigée par d’anciens officiers français, désormais réalisée sous la surveillance d’une armée nigérienne « conseillée » et formée par l’armée française. Encore faudra-t-il que les nouvelles autorités civiles qui résulteront du processus de transition démocratique en cours depuis le renversement de Mamadou Tandja se montrent suffisamment dociles. Mais jusqu’à présent, la relation entre les deux pays est restée purement néocoloniale. Même si le monopole d’Areva a été écorné par l’arrivée des firmes chinoises, la firme française garde la main sur les principales réserves du pays et le coût du minerai, même récemment réévalué, reste plus qu’avantageux. Il n’a par ailleurs non seulement jamais profité aux nigériens qui restent l’un des peuples les plus pauvres du monde, mais a été réalisé à un coût social et environnemental énorme : spoliation des terres agro-pastorales, destruction de la faune et de la flore, contamination radioactive de l’air, du sol, de l’eau et des métaux recyclés qui empoisonne lentement les travailleurs des mines et aussi le reste de la population.Cette situation et les rivalités impérialistes pour le contrôle sécuritaire lié aux ressources énergétiques (uranium, pétrole et peut-être demain énergie solaire) de la région, créent évidemment un terreau favorable à l’instrumentalisation d’une rhétorique anti-impérialiste par des groupes qui ont fait du commerce des otages un business éminemment rentable. Non seulement une réponse militaire étrangère ne réglera pas le problème, mais elle pourrait précipiter des jeunes privés d’avenir, notamment parmi les populations touarègues, dans les bras des terroristes pour l’instant groupusculaires qui prétendent incarner une alternative idéologique et matérielle.