Interview de… Dominique Guibert,
vice président de la ligue des droits de l’homme
◗ EE : Que dit le rapport annuel de la LDH sur l’état des droits ?
Dominique Guibert : La livraison de 2013 « La République en souffrance » veut marquer la double nature du moment politique. D’une part, la crise et les souffrances pour les plus vulnérables. En effet, si la crise – ou plutôt les crises, économique, sociale, environnementale, mais aussi démocratique – touche tout le monde, c’est de façon différentielle. La vulnérabilité des plus démunis est évidente et massive. D’autre part, la société est en souffrance de tous les droits pour tous et partout. Le rapport insiste sur l’absolue nécessité de changer l’exercice du pouvoir : d’en finir avec le cumul des mandats ; d’ouvrir le droit de vote et d’éligibilité à tous les étrangers résidents ; de redonner à la justice avec l’indépendance du parquet et la réforme du CSM et à la police avec le contrôle du contrôle des identités un fonctionnement au service de la population ; de mettre fin aux arrestations- rétentions-expulsions des étrangers et demandeurs d’asile. Enfin, nous mettons en avant que la politique suivie au niveau européen doit changer. Il faut combattre l’idée que les gouvernements seraient désarmés par « Bruxelles » et rappeler que le Conseil européen tient son pouvoir des gouvernements. Or, la politique restrictive des prétendus grands équilibres est celle-là-même qui a fait faillite. L’austérité est une politique de faux économistes, mais de vrais idéologues qui font du social un sous-produit de l’économie.
◗ Quelles perspectives d’orientation et de mobilisations après ce congrès, celui de « l’après Sarkozy » ?
On peut aussi dire que ce 87ème congrès est le premier de l’ère Hollande ! Et il ne s’agit pas pour la LDH de rester l’arme au pied. La stratégie d’une organisation de défense et de promotion des droits n’est pas de tout ou de ne rien attendre d’un gouvernement quel qu’il soit. Nous avons, pendant les élections, élaboré avec 50 organisations associatives et syndicales – dont la FSU – un « Pacte pour les droits et la citoyenneté » qui reste notre référence. Même si les conditions politiques bougent, le fond reste le même. Et si la LDH, comme d’autres, est amenée à rencontrer tel ou tel membre du gouvernement, c’est sur la base de nos mandats. Je rappellerai que sous Sarkozy, les contacts étaient inexistants. Ce n’est plus le cas. Est-ce que ça change quelque chose ? Oui. Est-ce que c’est suffisant ? Non. Nous allons proposer aux partenaires du Pacte de voir ensemble comment et sur quoi agir. Au congrès, nous avons adopté un « Appel pour le renouveau de la démocratie » par lequel les militants de la LDH ont décidé de se battre pour tous les droits, au delà de toute circonstance.
◗ Immigration, étrangers, sans papiers quel bilan de la gauche depuis un an ?
Je conçois la fonction du mot « bilan » qui rappelle l’impératif catégorique d’une amélioration de la situation faite aux étrangers, aux Roms, aux sans papiers et aux réfugiés. Et il faut redire que la France a été condamnée par la CEDH ou d’autres instances. Mais l’utilisation de ce terme a quelque chose de définitif. La cause serait-elle entendue et suffirait-il que la politique d’aujourd’hui est la même qu’avant et que tout est perdu ? La LDH fait confiance à l’intervention sociale et pas à l’hygiène de la catastrophe. C’est pourquoi, nous avons à chaque fois interpelé les pouvoirs publics, sur les Roms, les CRA, la régularisation, la grève des salariés sans papiers… Et construit avec d’autres les mobilisations. Cette stratégie est présente dans la lettre ouverte adressée à Manuel Valls et il faudrait de la mauvaise foi pour y voir un programme de concessions.
◗ Face à l’installation de discours et d’actions racistes, sexistes, homophobes… quel rôle de la LDH pour une riposte du mouvement social ?
La situation politique est marquée par une extrême tension. La crise produit un délitement social. La montée des extrêmes-droites en Europe : Aube dorée en Grèce, le FIDESZ en Hongrie, le FN chez nous. Et pire, la possibilité de passerelles entre ces groupes et des éléments des partis de droite. Les mobilisations contre « le Mariage pour tous » ont cherché à coaliser ces gens qui au fond n’ont jamais aimé la République et jugent les gouvernements illégitimes quand ils ne sont pas de droite. Le FN en embuscade a parfaitement compris que le « Tous pourris » lui était favorable. Évitons de nourrir ce sentiment qui affaiblit le camp de la démocratie. D’autre part, je suis dubitatif sur ces vocables au singulier de riposte et de mouvement social. La LDH, parce que la défense des droits de tous est le fondement de toutes les organisations démocratiques, peut fédérer des actions communes. Et ce ne sera déjà pas si mal ! ●
Propos recueillis
par
Bruno Dufour