Les élections professionnelles se sont déroulées dans un contexte
d’offensives continues contre les services publics et ses agent-es et
de mobilisations sociales « hors du champ syndical » (Gilets jaunes)
qui influent sur les résultats.
Avec un taux moyen de participation de 49,8 %, ce sont seulement
2,5 millions des agent-es concerné-es qui ont voté. La participation
est en recul de 3 points par rapport aux dernières élections de 2014.
Il faut voir dans ce faible intérêt les conséquences d’une forme de
désespérance sociale d’une partie des salarié-es face aux reculs
sociaux continus dont ils sont l’objet, avec soit de faibles capacités
syndicales de réaction, soit sans victoires syndicales après une
mobilisation. Et ce, alors que se développait malgré tout la révolte
sociale des Gilets jaunes, en dehors de tout cadre syndical ! La
généralisation du vote électronique, renvoyant chaque salarié-e à un
face à face individualisé avec son ordinateur au moment du choix,
accentue certainement cette distanciation par rapport aux collectifs
de travail. D’une manière générale et globale, on note donc une
distanciation d’une bonne moitié des salarié-es des FP d’avec la
« chose syndicale », que ce soit dans la représentativité
institutionnelle ou le choix d’orientation « politique », à l’image de
ce qui existe dans la sphère du politique où la crise de
représentation est à son summum (voir le « dégagisme » des élections
de 2017).
À l’échelle des 3 versants de la fonction publique, les variations de
résultats pour les principales organisations sont faibles, mais
significatives (2014-2018) : CGT de 23,1 % à 21,8 % ; CFDT de 19,3 % à
19 % ; FO de 18,6 % à 18,1 % ; UNSA de 10,4 % à 11,2 % ; FSU de 7,9 %
à 8,6 % ; Solidaires de 6,8 % à 6,4 % ; CFTC de 3,3 % à 2,9 % ; CGC de
2,9 % à 3,4 % ; FA-FP de 2,9 % à 3,5 %. Seules gagnent des voix la
FA-FP, la CGC et la FSU. C’est ce qui lui permet de gagner un
troisième siège au Conseil commun de la FP.
Pour les syndicats qui partagent une orientation « de lutte ou de
transformation sociale » et qui se retrouvent le plus souvent
ensemble, on a une nouvelle baisse de la CGT (tout en restant première
avec 3 points d’avance sur la CFDT), une petite hausse de la FSU et
une petite baisse de Solidaires. FO perd aussi, en retrouvant son
score de 2011. Pour le syndicalisme ouvertement accompagnateur des
politiques gouvernementales et patronales (CFDT, CFTC, CGC et UNSA),
on a globalement une légère progression. On retrouve cette tendance
aux niveaux plus particuliers de la FPE (-1,9 pts pour
CGT/FO/FSU/Solidaires) et de la FPT (-1,6 pts), même si globalement,
ces quatre syndicats restent à 55 %.
C’est la confirmation d’une tendance lourde qui a même vu, suite à ces
élections, la CFDT passer devant la CGT au plan interprofessionnel. Il
faut y voir une conséquence de l’érosion constante des « bases
syndicales » classiques de la CGT, liée notamment aux modifications
structurelles du salariat. Laurent Berger aura la « légitimité du
premier » pour s’afficher comme interlocuteur incontournable du
pouvoir et du patronat. Jusque-là, bien que rejetée par les pouvoirs
en place et la pensée dominante, la CGT s’appuyait sur sa première
place pour se faire entendre. Cela risque d’être plus difficile
aujourd’hui.
Depuis quelque temps, dans une situation générale peu favorable aux
idées et projets alternatifs émancipateurs, le syndicalisme de
transformation sociale est en difficulté. Il n’est pas arrivé à
montrer aux salarié-es son efficacité à s’opposer aux attaques
libérales de droite ou de « gauche », accentuant le repli des idées
d’égalité, de justice sociale, de conscience et d’actions
collectives. Ne voyant venir rien de crédible du côté de la
transformation sociale, une bonne partie des salarié-es se rabat alors
sur le « tout petit peu » que cherchent à promouvoir les adeptes de
l’accompagnement social, dans une illusion « réaliste », et ce, même
s’ils n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent avec Macron. Cela
pour les salarié-es qui accordent encore du crédit au
syndicalisme. Les autres se réfugient dans l’abstention (majoritaire
aujourd’hui) voire pour certain-es cèdent aux sirènes de l’extrême
droite sur le terrain politique…
Jusque-là, ce « syndicalisme d’accompagnement » n’a pas réussi à
présenter un pôle unifié, structuré et stable, qui serait un outil
formidable pour tout pouvoir en place afin de mettre en musique chez
les salarié-es les politiques libérales. Mais la première place de la
CFDT peut faire bouger les choses.
Avec une place encore très importante du « syndicalisme de lutte »,
(et c’est une forme d’exception à l’échelle européenne), la
« spécificité » du syndicalisme français demeure. Mais, bien qu’encore
fort, on a un « syndicalisme de lutte » affaibli et divisé. L’enjeu,
dans les mois qui viennent, c’est que celui-ci soit capable de trouver
les ressources pour engager réellement une réflexion commune sur ses
difficultés actuelles à trouver l’oreille des salarié-es, sur la
nécessité de trouver une voie pour avancer vers une unité durable et
structurelle.
La FSU a un rôle à jouer dans cette situation : son histoire, ses
mandats lui confèrent une légitimité pour être écoutée. Pour cela, il
faut qu’elle sorte d’une posture illusoire cherchant à rassembler
« tout le syndicalisme » et se consacre au rassemblement du
syndicalisme de transformation sociale. Elle sort de ces élections
professionnelles avec un bilan mitigé : elle conquiert un 3ème siège
au Conseil commun mais ne reconquiert pas sa première place dans la
FPE, elle progresse dans la FPT mais ne voit pas sa représentativité
nationale reconnue, elle reste largement première dans l’Éducation
mais recule quand même, avec une part des voix venant de l’éducation
qui continue de monter dans son score général… Autant de questions qui
l’interrogent sur son avenir et sont à aborder à l’occasion de son
congrès, en lien avec le débat décisif sur l’avenir du syndicalisme de
transformation sociale.
Ayons conscience que ce qui se passe avec la mobilisation des
Gilets jaunes est aussi un défi pour tout le syndicalisme de
lutte et que ne pas y répondre est une façon de choisir de
mourir.
Laurent Zappi