Dans les médias, au Ministère, au Rectorat, tout va bien ! Les élèves retournent à l’école depuis le 11 mai pour le primaire et le 18 mai pour une partie du collège, les autres suivront en juin… ils savent se tenir à distance, des repas sont servis, des adultes sont présent-es… mais sur ce qu’ils y font ? vide sidéral ! Comment élèves et prof-es ressortent-ils à la fin de leur journée ? Qu’ont-ils appris, qu’ont-ils transmis ? Là encore, silence ! Qu’on se rassure ! Ils et elles savent se laver les mains…
Les élèves sont accueilli-es le matin et très encadré-es tout au long de la journée dans leurs déplacements: dans les couloirs, les escaliers, elles et ils sont en file indienne et espacé-es, n’ont plus aucune liberté de mouvement.
Parfois l’espace est délimité au sol par des bandes blanches ou bien par des barrières mobiles de sécurité. Dans la salle de classe, elles et ils s’assoient à leur table et y restent une heure 30 ou deux selon les établissements.
Parfois, elles et ils y prennent même leur déjeuner avec là encore, un protocole strict pour venir prendre leur plateau et jeter les déchets. Un-e par un-e.
On peut se questionner sur le sens de cette école, sur son objectif: être seulement un abri bus surveillé où des enfants peuvent s’asseoir et se tenir à distance ?
Le nombre d’élèves accueillis est très variable car il dépend de la « jauge » – d’habitude la cantine, en ce moment l’équipement en sanitaires, le nombre d’agents d’entretien puisqu’il faut désinfecter les locaux plusieurs fois par jour – mais aussi de la catégorie socio-professionnelle des parents: les catégories favorisées sont plus enclines à remettre leurs enfants à l’école1.
Un collège favorisé peut accueillir 75 % des élèves de 6e et 5e, mais évidemment un jour dans la semaine seulement pour chaque élève. Dans d’autres établissements ce sera 10 ou 20 % des élèves, encore une fois la moitié de la semaine. On ne s’étonne pas d’observer parfois au bout de seulement quelques jours une érosion : des élèves ne reviennent pas.
On pourrait s’interroger: l’École serait-elle maltraitante ?
Car dans beaucoup de cas, les élèves ne sont pas en classe, mais en groupe.
Non ils et elles n’ont pas leur professeur, mais un-e enseignant-e qui ne les connaît pas forcément.
Non ils et elles ne suivent pas le programme, mais ce que l’enseignant-e, étouffé-e sous son masque en tissu, peut se permettre de faire en présentiel – à 1 m de distance tout de même -, tout en continuant d’assurer l’enseignement en distanciel pour une majorité d’élèves chez eux.
Aucun projet pédagogique ni éducatif n’est mené car seules les contraintes sanitaires prévalent.
Aucun bilan non plus de deux mois de distanciel, de leurs effets sur des enfants ou des adolescent-es et les conditions pour revenir à un présentiel touchant encore moins d’enfants…
Et pour fêter cela – peut-être consciente de ce vide – la rectrice de l’académie de Poitiers lance un défi aux élèves du secondaire, depuis le 26 mai. Elle souhaite montrer que l’École c’est «la camaraderie, le plaisir d’apprendre ou de retrouver ses amis, d’échanger avec ses professeurs ou celui de partager un bon repas préparé par les cuisiniers».
Madame la Rectrice, dans la droite ligne du ministère Blanquer, étoffe les formules publicitaires de son mentor: après «l’école de la confiance», la « Nation apprenante », « le bonheur à l’école »: le plaisir et le partage sont vantés !
La page d’accueil du site académique montre des enfants libres de toute entrave et souriant-es… à l’opposé de ce que nous voyons dans nos classes.
L’expression militaire de mobilisation générale est aussi de mise: «nous réussirons ensemble !»
Mais ouvrons les yeux : aucun travail de groupe n’est possible, les repas sont souvent froids, préparés ailleurs, la distance est de rigueur, et de quelle camaraderie parle-t-on lorsque, justement, les classes sont mélangées, qu’on n’y retrouve pas ses camarades… les gestes « barrières » empêchent toute chaleur, spontanéité et tout geste pédagogique habituel.
Si l’on devait décrire le fil conducteur de l’Éducation nationale depuis 3 mois, ce ne serait pas « Éduquons ensemble » mais « Communiquons tout seul » car le ministère poursuit sa communication dans les médias pour, une fois encore, affirmer aux Français que, le déconfinement, comme le confinement, nous savons faire, au mépris de la réalité, du quotidien des enfants et des personnels: cette rentrée de mai n’a de sens ni pour les un-es, ni pour les autres.
Le mépris va loin: des élèves qui ne sont pas allés en établissement depuis 3 mois vont peut-être y revenir début juin ?
Parents et élèves l’apprennent dans les médias 2 jours avant (comme ils y ont appris la veille la fermeture de établissements). En même temps que les professionnel-les, sensé-es organiser ce retour dans les établissements.
La situation de l’Éducation nationale aujourd’hui ressemble à celle de l’hôpital: mépris, maltraitance de la hiérarchie envers ses personnels et ses usagers.
Si personne n’y prend garde, le jour d’après risque fort d’être pire que le jour d’avant.