Le polar a tendance à se diversifier jusqu’à absorber une grande partie de la littérature, lui faisant perdre sa spécificité.
Dans les parutions récentes, le polar historique brille de tous ses feux et se présente souvent sous la forme de série pour faire visiter une époque, une ville… C’est le cas de Claude Izner pour le Paris de cette fin du 19e. Elles (elles sont deux auteures derrière ce pseudonyme) ne pouvaient ignorer l’affaire Dreyfus et le « J’accuse » de Zola, contexte dans lequel Victor Legris et son beau-frère Joseph Pignot vont enquêter sur des meurtres de bouquinistes. Les souliers bruns du quai Voltaire permettent de se balader sur les quais de la Seine. Malgré un style trop lisse, on prend plaisir à suivre l’enquête d’autant qu’elle est très documentée sur les parutions et l’ambiance du Paris de ces années là, un Paris en train de se transformer.
S.J. Parris a fait de Giordano Bruno sa figure de « détective privé » à la cour d’Angleterre d’Elisabeth 1er. Le prix de l’hérésie est le titre de lancement de la série. L’hérésie est le mot clé de cette époque. Le contexte est marqué à la fois par le début de la fin de la toute puissance de l’Inquisition, de cette Eglise soucieuse de préserver ses dogmes, incapable de s’ouvrir au monde, par l’essor de la nouvelle religion dite réformée et par la présence de cette Eglise anglicane créée par le père d’Elisabeth, Henri VIII. Bruno enquête comme espion de la reine, obligé d’accepter, parce qu’il est exilé, fuyant les persécutions de l’Inquisition qui l’a excommunié. Stéphanie Merritt sait tout de l’occultisme et y fait pénétrer le lecteur. Une part de vérité, de science se mêle à des croyances qui peuvent conduire aux meurtres… en toute innocence !
Le polar islandais
Arni Thorarinsson est l’un des plus importants auteur de polar islandais. Son « détective privé » est journaliste, comme lui. Einar enquête à la manière de Philip Marlowe, le privé de Chandler, un peu transparent même s’il prend des coups. Il est envoyé en reportage dans la ville enneigée de Isafjördur pour des raisons de restructuration du journal. Un dialogue de début résume deux stratégies. L’une défend le journalisme de terrain et veut conserver le personnel, l’autre, administrative, ne raisonne qu’en terme de coût et de coût du travail qu’il faut, bien sûr, absolument baisser. Dans cette ville où normalement il ne se passe rien, meurtres, incendies criminels, profanations vont se multiplier. Le septième fils, c’est le diable. Il est à l’œuvre et à la manœuvre, juste avant la crise financière qui va ravager l’île et appauvrir ses habitants. Une description de la folie des hommes dissimulée sous une rationalité micro sociale conduisant à l’absurdité la plus profonde. Une sorte de dessin de ce capitalisme dominé par les marchés financiers.
Le polar “géographique”
Peut-on parler d’une nouvelle branche du polar « géographique » ? Prenez un pays, le Botswana par exemple, via une enquête criminelle sur un meurtre. Le cadavre a été retrouvé en plein désert du Kalahari. Michael Stanley (encore 2 auteurs…) a créé l’inspecteur David Bengu, dit Kubu, dans une région gangrenée par la corruption en lien avec les mines de diamants. Un peu lourd quelque fois, un peu didactique, c’est pourtant une excellente introduction à la compréhension de cette partie du monde. Un festin de Hyènes est aussi une déclaration d’amour à ces paysages et à ses habitants.
Comment qualifier Robert Littell ? Il fait partie de toutes les cases et occupe donc une place singulière. Dans Un espion d’hier et de demain, il nous balade entre Guantanamo, de triste réputation, et l’histoire d’un espion malgré lui, mais volontaire pour la défense des insurgés américains conduits par George Washington contre les troupes britanniques en 1776. Quel rapport entre la possibilité de l’explosion d’un engin nucléaire à Téhéran et l’espionnage des Anglais au service de la liberté ? Il faudra le découvrir. Littell est un grand écrivain et nous fait traverser toutes les périodes. Un espion d’hier et de demain est à la fois un exercice de style et un faisceau d’histoires qu’il nous fait croire vraies. ●
Nicolas Béniès
– Claude Izner, Les souliers bruns du quai Voltaire, 10/18 ;
– S.J. Parris, Le prix de l’hérésie, 10/18 ;
– Arni Thorarinsson, Le septième fils, première parution
Editions Métailié réédité dans Points/Policier (Seuil) ;
– Michael Stanley, Un festin de Hyènes,
une enquête de l’inspecteur Kubu au Botswana, Points/Policier ;
– Robert Littell, Un espion d’hier et d’aujourd’hui, Points/Policier.