Suite de notre feuilleton de décryptage et de déconstruction du programme Macron avec le premier épisode du volet sur l’école.
Individualisation des parcours et des apprentissages, resserrement sur les fondamentaux, externalisation du traitement de la difficulté scolaire, renforcement des dispositifs de territorialisation du système éducatif, logique d’autonomie de gestion et de pilotage par l’évaluation des établissements, réduction du pouvoir d’agir des enseignant-es… voici les axes qui déterminent le projet éducatif d’Emmanuel Macron.
Épisode 1 : Balayage rapide des principaux axes du projet éducatif de Macron
Pour anticiper les conséquences de ce projet pour l’école, il suffit de regarder l’état dégradé de notre système éducatif, tant est grande la familiarité des mesures envisagées avec les éléments les plus libéraux des politiques menées depuis près de deux décennies. Et depuis 20 ans, le nombre d’élèves en grande difficulté a augmenté, les inégalités scolaires se sont aggravées, les conditions de travail se sont dégradées…. Et ce sont les élèves des classes populaires qui payent le prix fort d’un système scolaire parmi les plus inégalitaires des pays de l’OCDE.
À la lecture du livre de Jean-Michel Blanquer « L’école de demain – propositions pour une éducation nationale rénovée », il apparaît évident que le nouveau ministre de l‘Education Nationale a été le principal inspirateur du projet éducatif du candidat Macron. Certes, les deux mesures phares de la période, les CP à 12 en REP et la volonté de laisser aux maires la liberté de revenir sur l’organisation des rythmes périscolaires et scolaires, n’y sont pas présentées de façon explicite. Mais la trame idéologique y est :
• Individualisation des parcours scolaires et des apprentissages : Blanquer veut une école de l’individualisation des apprentissages, de la centration sur la répétition, la constitution d’automatismes, sans jamais évoquer la nécessité d’amener les élèves à penser. Il veut individualiser les parcours scolaires pour « répondre aux talents de chacun », ce qui soutend des filières d’excellence et d’autres de relégation à l’intérieur même du système scolaire.
• Resserrement sur les apprentissages fondamentaux : Blanquer, en se référant aux programmes de 2008 qui avaient été unanimement décriés, souhaite que l’école maternelle soit centrée sur le langage à la préparation aux apprentissages fondamentaux du CP, et que l’école élémentaire se recentre sur le lire, écrire, compter et le respect des règles et des autres, en proposant notamment de consacrer 20h sur 26h de classe au français et aux maths. Ceci va à l’encontre de l’idée que c’est par tous les chemins de la culture que l’on peut réussir l’émancipation des élèves, en particulier de ceux issus des classes populaires.
• Traitement de la difficulté scolaire : pour Blanquer la difficulté scolaire est traitée d’une part par l’individualisation des parcours et la constitution de groupes de niveau, et d’autre part par des dispositifs d’externalisation comme des stages de remise à niveau pendant les vacances qu’il entend mettre en place pendant trois semaines à la fin de l’été. Ces propositions sont en contradiction totale avec les apports de la recherche sur les déterminants permettant la réussite de tous.
• Renforcement de la territorialisation du système éducatif et autonomie des établissements : Blanquer entend renforcer l’adaptation du système éducatif aux besoins locaux. Pour cela, il fait du chef d’établissement, de l’IEN et du directeur d’école les patrons locaux, en charge de la mise en place d’un projet d’établissement établi par contractualisation avec le rectorat. Chef d’établissement et directeur d’école auront un pouvoir de nomination des enseignant-es, d’évaluation. Toute idée de travail en équipe passe par l’imposition d’une hiérarchie forte au sein même du lieu de travail. Les chefs d’établissement auront une latitude importante quand à l’organisation des enseignements, dans un contexte de carte scolaire assouplie, ce qui conduira à une mise en concurrence des établissements.
• Réduction du pouvoir d’agir des enseignants : Blanquer entend restreindre le pouvoir d’agir des enseignant-es par deux types de leviers. D’une part en renforçant le pouvoir du supérieur hiérarchique présent au sein même de l‘établissement (chef d’établissement, directeur). D’autre part en imposant, dans la formation, et par les outils numériques, ce qu’il juge être « les bonnes pratiques », « les dispositifs pédagogiques qui ont fait leur preuve », élaborés essentiellement par la recherche en sciences cognitives et neurosciences. Cette imposition sera renforcée par une généralisation des évaluations nationales, mises en place chaque année, et qui devraient être l’élément de mesure principal de l’évolution de la carrière des enseignant-es.
Pris dans son ensemble, le projet de Macron, pensé par Jean-Michel Blanquer, est porteur de régressions importantes pour notre système éducatif. Loin des propos de notre nouveau ministre qui se veulent rassurants, se dessine une école encore plus libérale où la mise sous tutelle des collectifs d’enseignant-es sera renforcée et où les inégalités scolaires et le poids des déterminismes sociaux dans la réussite scolaire seront décuplés.
Nous reviendrons par la suite plus en détail sur ces différents points.