Dans le sport, à la pédagogie militariste de la revanche ou de la guerre froide succède la mystification d’une cohabitation harmonieuse des pratiques sportives de compétition (son dopage et ses mafias) et de loisirs amateurs. D’où l’importance de revisiter sans oeillère
l’intervention syndicale
pour un sport émancipateur.
Les enseignant-es d’EPS, proches de l’EE, sont en permanence confronté-es à la question du sport dans le cadre de leur activité syndicale, en particulier dans le SNEP-FSU, mais pas seulement.
L’EPS, longtemps confinée au sein du Secrétariat d’Etat (quelquefois ministère) de la Jeunesse et du Sport, rattachée en 1981 au ministère de l’Education nationale, a été, depuis toujours, confrontée à la nécessité de légitimer sa place à l’école comme discipline d’enseignement à part entière.
Dans ce combat, impossible d’échapper aux contradictions politiques et sociales générées par les scandales à répétition de la pratique sportive compétitive, aussi bien à l’époque de la « guerre froide » entre le bloc de l’est stalinien et celui capitaliste de l’ouest, qu’aujourd’hui au sein du capitalisme triomphant mondialisé.
Voilà pourquoi l’Education Physique est sans cesse interrogée par le S de sa terminaison qui renvoie au contenu Sportif de son enseignement.
Le sport, c’est quoi, comment, quelle réalité ?
Le sport dont on parle est celui d’aujourd’hui, tel qu’on le connaît, avec ses pratiques, ses institutions olympiques et fédérales qui édictent lois et règles, organisent les rencontres selon un calendrier préétabli avec à la clé, classement, sélection, records, hiérarchie des championnats et des rencontres internationales et nationales, avec comme hymne permanent : « seule la victoire est belle ».
Cette compétition mondiale organisée, centralisée, impose la recherche permanente de la plus grande compétitivité de tous ses acteurs et s’inscrit dans le mythe capitaliste du progrès continu et infini.
Il faut donc sortir de la polysémie du vocable SPORT qui amalgame, à des fins de mystification, le/la champion-ne, le/la jogger-euse du dimanche, les joueurs-euses de quartier, en rassemblements éphémères, autour d’un ballon de foot ou autre, les compétiteurs-trices licencié-es à une fédération, les pratiquant-es physiques hors système organisé, et même le/la jardinier-e qui travaille son carré de terre ainsi que les promeneurs-euses en forêt.
Le « tou-tes font du sport » vient ici à point nommé pour tenter de masquer la différence essentielle entre les activités physiques organisées par et centrées sur la compétition et celles purement ludiques et de loisirs.
Ainsi, à l’organisation systématisée de la concurrence économique fait écho l’organisation aussi systématisée de la concurrence sportive, dans la recherche commune de la compétitivité absolue.
Cette superposition terme à terme des caractéristiques imposées par le capital au travail humain avec celles que le sport de compétition valorise ne peut pas être simple coïncidence.
Un système
politiquement marqué
Le sport, sa nature politique, ne surgit pas de nulle part. Il s’installe comme pratique dominante dans la culture corporelle à l’échelle planétaire. Il est à l’image d’un impérialisme issu d’une poignée de pays industriels avancés, avec une organisation sociale du travail déterminée et organisée en classes sociales aux intérêts antagoniques.
De surcroît colonialistes, ces pays du Nord ont largement contribué à diffuser leur modèle corporel à la planète des «sauvages » comme ils ont diffusé – de force quant il le fallait – leur religion, leur peinture, leur langue et leur histoire au prix de massacres humains, culturels et identitaires.
Cette culture corporelle de domination et de réification n’est pas la nôtre, tout comme le modèle économique et social de la fin du XIXème siècle n’est pas le nôtre, y compris dans sa forme actuelle de néo capitalisme libéral.
Le sport moderne est ainsi lié à l’avènement du machinisme industriel et au type scientifique, technique, d’organisation de la production. Il est donc, en définitive, dans tous ses phénomènes et manifestations, lié structurellement à une base économique, à une infrastructure donnée, celles imposées par le capital et le règne de la marchandise.
Est il possible, voire nécessaire, au vu du remarquable parallélisme d’évolution du capital et du sport jusqu’à l’avènement du libéralisme mondialisé, d’émettre l’hypothèse que ces 2 systèmes de valeurs n’en font qu’un ?
Est il concevable de combattre et de résister à l’un sans rien dire de l’autre ?
Le sport comme acquis culturel de l’humanité
Cette thèse, portée par le SNEP-FSU, est la négation du caractère déterminé du sport. Elle fait écho à la filiation établie par Coubertin entre les Jeux d’Olympiques de la Grèce antique et les J.O modernes. Elle reprend à son compte la devise olympique, comme si le « Altius, citius, fortius » était la marque de la permanence innée du comportement humain à travers les âges.
En justifiant le mythe du progrès continu et infini, elle justifie aussi la participation aux instances nationales et internationales du sport, hier des pays de l’est, demain de tout régime socialiste issu d’un rejet de masse du capitalisme financiarisé.
Le dopage généralisé, la tricherie organisée et mafieuse, les scandales de tous ordres qui marquent le sport d’hier à aujourd’hui ne seraient ainsi que des excès, des scories, générés par le mode de production capitaliste et la financiarisation outrancière de l’économie.
Mais, face aux politiques sportives néo et socio libérales, nationales et locales, favorisant le sport professionnel et ses institutions au détriment du « service public jeunesse et sport », face aux évolutions contestables des programmes et contenus en EPS pilotées par l’IG, la nécessité de décliner des propositions pour un « sport propre » s’est imposée. Des réflexions, évolutions, sur le thème d’un « alter-sport » se sont traduites par des propositions pour un « sport émancipateur », avec initiatives publiques revendicatives : EPSIliades, SPORTlliades, États Généraux.
C’est donc dans ce contexte que les militant-es EE doivent aujourd’hui intervenir au SNEP.
Même si le débat a pris un tour plus fraternel que dans le passé, il n’exclut nullement les prises de bec et les réactions épidermiques.
Voilà pourquoi et comment s’est fait jour la nécessité de revisiter les textes fondateurs de notre orientation syndicale en matière de sport. Occasion de vérifier au passage que la quasi totalité de ce qui était exprimé dans “Sport, Culture et Répression” (1968) n’a pas pris une ride et que l’histoire a validé tous les pronostics sur l’évolution du sport de compétition. ●
Guy Aubarbier
Tennis, foot, JO : les installations sportives à l’assaut de la nature
Un stupéfiant stade de 42 000 places au bord même du lac d’Annecy, pour satisfaire le délire de gigantisme de la ville-candidate et du CIO pour les JO de 2018 ; l’emprise territoriale et marchande de l’«OLyonnais Land» ; la Coupe du monde de football en 2022 organisée par le Qatar avec des stades climatisés (25° à l’intérieur pour 50° à l’extérieur !) ; le 1,7 milliard dépensé pour la rénovation et la construction d’une douzaine de stades (Euro 2016). Tous ces lieux du sport-spectacle puisent sans vergogne dans les ressources naturelles (eau, air, terre), martyrisent le milieu organisé par les hommes (jardin paysager, rive aménagée), et pis, captent ou détruisent une nature désormais gênante.
La mise à sac de la nature est induite par la logique même de la compétition sportive. Son besoin irrésistible de conquête de terrain se traduit par le bétonnage irréversible de sites fragiles. Ainsi, la montagne connaît une dégradation rapide du fait d’installations mécaniques et d’habitations de plus en plus denses, un réseau serré de transports, et aussi la destruction de la couverture végétale naturelle (bombardée par les canons à neige), la compression des sols, l’augmentation des risques de glissement de terrain, d’érosion et d’avalanches. La préparation des JO de Sotchi pour 2014 déboise des forêts entières protégées par l’Unesco.
A Paris est projetée la destruction pure et simple d’une partie d’un patrimoine bâti et botanique unique, les serres d’Auteuil, préservé depuis des années par un personnel qualifié, vigilant et dévoué, et vis-à-vis duquel la FFTennis et Bertrand Delanoë voudraient substituer un nouveau stade et agrandir un «village» pour les mondanités et l’exhibition médiatique des people.
Ce bloc de béton aveugle, vide 11 mois sur 12, sera une tache indélébile au cœur d’un magnifique parc peuplé d’arbres d’essence rare et de milliers de plantes tropicales parfois uniques.
La «sportivisation» de la ville et de la montagne a pour conséquence la régression des espaces naturels et leur chosification : pelouse synthétique, neige produite en tant qu’artefact, terre battue circonscrite par des lignes blanches, air climatisé… Tout stade, s’il intègre nombre d’individus, n’est intégration qu’au seul spectacle du sport. Le stade et le sport ne sont jamais intégrateurs d’aucune culture et n’en ont jamais créé d’originale. Un stade tient-il la comparaison avec un parc arboré ? Le stade est désintégrateur du lieu où il s’impose.
Extraits d’un texte de Marc Perelman, professeur d’esthétique architecturale à Paris Ouest-Nanterre-la Défense.