Et après ?
Un jeudi qui ne vient pas de nulle part
Après cinq années d’administration Blanquer et deux ans de pandémie, quelque chose s’est passé : la profession s’est levée et a dit stop. Stop au mépris, stop à l’impréparation, stop à la désorganisation, stop à la souffrance. Depuis deux ans, dans les écoles, face à la violence et l’incurie institutionnelle, les équipes ont su s’organiser remarquablement pour « faire face » malgré une administration niant la réalité et prenant des décisions (et des non décisions) aberrantes. Mais, contraint par la situation, le contexte général d’une forme de repli sur soi a rendu difficile les actions collectives et revendicatives à plus grande échelle.
De son côté notre syndicalisme de transformation sociale, bien que fortement ébranlé par ce temps de pandémie, est fort heureusement toujours resté à flots. L’information aux collègues par la dénonciation des approximations et des mensonges ministériels a été dès le début un des fils rouges de notre action syndicale. La protection des collègues très largement sous-estimée par l’administration a été portée par nos interventions dans les CHSCT (MEN, académiques et départementaux) et nos revendications de sécurité sanitaire. Des feux ont également pu être allumés : lutte contre le projet d’expérimentation direction d’école de Macron à Marseille ou la loi Rihlac, grève des AESH pour leur métier, grève à partir des difficultés sur l’inclusion en Loire-Atlantique… localement les militantes et militants ont maintenu la présence et l’action syndicale, la défense des collègues, de leurs intérêts contre une administration aux ordres.
Et puis un jour…
C’était la 53ème mise à jour de la FAQ ministérielle (nous en sommes à la 55ème ce jour) dévoilée une fois de plus par voie de presse – payante cette fois-ci – la veille de la rentrée de janvier. L’objectif des classes ouvertes comme seule ambition s’est très vite trouvé contredit par la réalité épidémique au sein du corps enseignant qui ne pouvait être compensé par le manque structurel de remplaçant·es et l’objectif irréalisable -et non anticipé- des 3 tests d’élèves à réaliser pour permettre leur retour en classe. Nous avons donc des classes, quand elles sont ouvertes, vides ou semi vides, des absences pour maladie ou garde d’enfants malades du côté des personnels, des écoles désorganisées malgré la bonne volonté et l’investissement des équipes : on ne fait pas classe, on ne fait pas entrer les élèves dans les apprentissages dans ces conditions et le sentiment que l’école est reléguée à un rôle de « garderie » est majoritaire. Cet empêchement de ne plus faire son métier entraîne frustration et saturation. Face à cette réalité crue, le ministre et le porte-parole du gouvernement se sont enfermés dans le mensonge et le déni. Le paroxysme en est atteint par Jean Michel Blanquer en villégiature à Ibiza, la veille d’une rentrée sous embrasement pandémique. Ses « excuses » obligées sonnent faux et ne changent pas la donne.
Le SNUipp-FSU a réagi très vite et bien. En anticipant une situation catastrophique il a su, en s’appuyant sur l’expertise des sections, prendre ses responsabilités : un jour de grève est posé pour la semaine suivante. Les autres organisations syndicales, bon gré mal gré, se sont « ralliées » au mouvement permettant un arc syndical inédit depuis longtemps. Les parents d’élèves, les corps d’inspections, les lycéen·nes, les territoriaux ont aussi rejoint le mouvement. Et c’est près de 75% des enseignant·es du 1er degré qui ont été en grève jeudi 13 février. Une démonstration concrète que le volontarisme, quand il est connecté au ressenti des personnels, est le point déterminant d’une mobilisation, au-delà de la question de l’unité. Tout cela doit nous permettre de repenser l’unité syndicale comme un sujet dynamique sans barguigner et pas comme une façon d’attendre le moment où certains se réveilleraient.
Ce mouvement, par son ampleur, a permis d’éviter que Blanquer ne s’inscrive, dans un éventuel second mandat de Macron, dans la durée au ministère de l’éducation ou à Matignon. Il a obligé le Premier ministre à recevoir les organisations syndicales le soir même. C’est en partie lié à la période pré-électorale mais aussi au fait que les revendications et la colère portée sont très largement partagées dans la population. Blanquer mis sous tutelle. Ne boudons pas notre plaisir. Mais l’étape supplémentaire va consister à reprendre ce que les manifestations ont réaffirmé le 13 et qui s’est décuplé, notamment via les réseaux sociaux, depuis l’Ibizagate : Blanquer démission !
Quelques concessions sont mises sur la table : les masques livrés quinze jours plus tôt, le recrutement de 3000 contractuel·les, la réouverture des listes complémentaires restantes, le report des évaluations de mi-CP, une rencontre bimensuelle pour parler sanitaire…
Réussir le 27
Après ce premier temps fort inédit, il ne faut pas nous laisser griser par ces quelques miettes lâchées par le gouvernement. Passée cette légitime satisfaction, il faut toutefois regarder la réalité du terrain et le quotidien des écoles, qui ne vont pas changer. Le protocole reste le même. Les deux ans d’expérience écoulés nous ont appris que les masques comme les auto-tests vont manquer. Le cabinet estime qu’il resterait environ 800 lauréat·es sur les listes complémentaires avec un potentiel de recrutement très inégal d’un département à l’autre. Les remontées dans de nombreux départements indiquent que les DASEN peinent à trouver des volontaires pour le recrutement contractuel.
Après le rebond du 20 qui a pris des formes différentes selon les capacités de mobilisation dans les départements, le 27 janvier, aux côtés de l’ensemble des fonctionnaires et des salarié·es du privé mobilisé·es pour les salaires, doit être un deuxième temps fort autour d’une plateforme unifiante, objectivable par les personnels, et portée par des cortèges éducation nationale unitaire partout où c’est possible. Cette plateforme pourrait se décliner en 4 points et reprendre nos revendications en termes de moyens via un collectif budgétaire avec le recrutement massif de personnels dès la prochaine rentrée permettant des conditions de travail acceptable, en termes sanitaires via notamment la mise en place de campagnes de tests systématiques, en termes de reconnaissance de notre utilité sociale via une augmentation de salaire significative et le dégel du point d’indice mais aussi par la fin du mépris des gouvernant.es qui passe par le changement d’interlocuteur au ministère de l’Éducation parce que, non, nous ne prendrons pas l’avion pour aller discuter sur les plages d’Ibiza…
Se donner des perspectives
Mais le 27, aussi fort soit-il, ne suffira pas. Pas plus que le 13 ne l’était comme le prouve l’insuffisance des annonces du gouvernement. Mais à l’approche des élections présidentielles, le champ des possibles est ouvert. C’est la responsabilité de notre organisation syndicale majoritaire, face à une profession qui agit de plus en plus par délégation, de donner des perspectives collectives en étant à l’initiative et en fournissant un plan d’action cohérent et lisible pour gagner. Et pour cela proposer une nouvelle journée de grève, dans un cadre fédéral, à la reprise des vacances d’hiver, sous la forme d’un ultimatum par rapport à nos revendications. Cet ultimatum précis et concret donnerait des perspectives claires pour continuer et amplifier le mouvement. Le bilan de Blanquer et le livre blanc du SNUipp-FSU seront des points d’appui pour l’alimenter.
Le SNUipp-FSU a su répondre à la colère de la profession pour faire avancer la possibilité d’une autre école en proposant la date du 13. Surfons (mais pas à Ibiza) sur cette lame de fond et construisons ensemble une autre politique scolaire menée par un autre Ministre.