La prochaine conférence mondiale sur le climat, à Paris en décembre 2015, hérite des échecs précédents et de l’urgence à conjurer un chaos climatique déjà à l’œuvre.
Les pollueurs historiques et leurs lobbies poursuivent le sabotage de ces conférences multilatérales. L’enjeu pour le mouvement social, c’est la construction d’un rapport de forces mondial.
Depuis la fin de la période d’engagements du protocole de Kyoto, les négociations internationales, sous égide de l’ONU, censées apporter des réponses coordonnées aux changements climatiques, démontrent l’incapacité des plus grandes puissances mondiales, qui sont aussi les plus gros pollueurs, à apporter une quelconque solution à ce problème.
Il faut reconnaître l’ampleur du défi : il s’agit tout bonnement de bouleverser en profondeur le complexe énergétique mondial, pour passer en quelques décennies d’un système basé essentiellement sur les énergies carbonées à un système décarboné.
Et ce bouleversement doit s’accompagner d’une exigence de justice climatique, tant au niveau des rapports entre pays, entre continents, qu’au sein de chaque région. C’est dire si cela contrevient aux politiques néolibérales. Ces contradictions ont été saillantes lors des derniers sommets.
**Petit retour en arrière :
- 2009, Copenhague, sommet présenté comme celui « de la dernière chance », devait entériner un nouvel accord post-Kyoto. Échec tellement énorme que même les dirigeants des pays participants n’ont pu le dissimuler. La dernière chance repassera.
- 2013, sommet de Varsovie, sponsorisé par les multinationales de l’énergie ; les ONG environnementalistes, pourtant dotées d’un fort esprit de conciliation et d’une foi jusque-là inébranlable dans le lobbying, quittent la conférence et manifestent aux cris de « Assez de discours, des actes », « les pollueurs parlent, nous marchons », « écoutez les peuples, pas les pollueurs ».
Entre 2009 et 2013, peu de progrès donc, mais beaucoup de reculs, notamment quant à la mainmise des institutions internationales sur la gestion des fonds d’adaptation aux changements climatiques pour les pays les plus touchés. - Décembre 2015, la France accueillera le sommet sur les changements climatiques, la COP21 [[21e conférence des parties, soit les membres ayant adopté la convention climat de Rio en 1992.]], au Bourget.
Pour Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, il faut décréter une action urgente pour éviter un « chaos climatique ». Il prend tellement les choses au sérieux qu’il a rencontré en juin tous les présentateurs météo de la télévision pour voir comment ceux-ci pourraient participer à la sensibilisation du grand public. C’est dire !
Et si la France pouvait apparaître comme le pays qui a accueilli la conférence qui a sauvé le climat, cela améliorerait un peu le bilan politique de Hollande.
**Six questions essentielles
Au-delà de ces considérations bassement politiciennes, six questions sont au cœur des négociations sur le climat :
- Quelle est la nature de l’accord qui doit sortir de la conférence du Bourget ? Une addition de contributions des différents pays, que chacun s’engagerait à essayer de respecter ? Ou un accord contraignant avec des sanctions pour les États qui ne respecteraient pas leurs engagements ?
- Quelles sont les échéances que doit se fixer un tel accord ? Jusqu’alors, la décroissance des émissions de gaz à effet de serre devait débuter en 2020. Vu le retard pris, une partie des négociateurs plaide pour que les engagements débutent le plus tard possible.
- Le protocole de Kyoto, malgré toutes ses limites, reconnaissait la responsabilité commune -mais différenciée- des États dans les changements climatiques : les pays qui y avaient historiquement le plus contribué devaient contribuer le plus à leur réduction.
Certes, la montée en puissance de pays comme la Chine, avec leur lot de pollutions, ne peut être négligée ; pour autant, le principe de faire payer les plus gros pollueurs, plutôt que de considérer une responsabilité égale, est-il toujours d’actualité ? - A Cancún en 2010, l’engagement avait été pris de mettre en œuvre un fonds d’adaptation et de lutte contre les changements climatiques, destiné à aider les pays les plus menacés, et financé par les pays riches, à hauteur de 100 milliards annuels.
Cette promesse n’a jamais été réalisée. De plus, les institutions financières internationales, et en premier lieu la Banque Mondiale, se sont placées pour gérer ce fonds. Si on ne leur donne aucun moyen ou si on leur enlève la gestion de quelques miettes, comment attendre de ces pays qu’ils mettent en œuvre les mesures d’adaptation nécessaires ? - Quelles mesures face aux changements climatiques ? S’agit-il d’approfondir les mécanismes marchands développés dès le protocole de Kyoto et de favoriser la finance carbone ?
Ou faut-il plutôt enclencher les prémisses d’une révolution énergétique, basée sur la sobriété, la décroissance des consommations et des productions énergétiques et le recours aux énergies propres ? - Les négociations climat peuvent-elles sauver le multilatéralisme ? Depuis plusieurs années, les collaborations entre États patinent, notamment à l’OMC.
D’où la multiplication d’accords bilatéraux ou trilatéraux comme le TAFTA ou le CETA (accord EU – Canada). Le sommet sur le climat pourrait a contrario recréer l’illusion d’une entente mondiale face aux risques climatiques.
Mais les négociations sur le TAFTA avancent bien plus vite que celles sur le climat ; or les deux sont incompatibles, notamment parce que l’accord UE – États-Unis favorise l’exploitation et le commerce des hydrocarbures non conventionnels et réduit les capacités des États à développer les renouvelables [[2) Pour plus de détails, voir « Avec le TAFTA,
l’UE et les États-Unis sabordent le climat et la transition », Amélie Canonne et Maxime Combes, lundi 19 mai 2014, https ://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/article/avec-le-tafta-l-ue-et-les-etats]].
**Les enjeux pour le mouvement social
Poser ces questions, c’est commencer à y répondre. Et nous pouvons faire confiance aux « grands » de ce monde et aux lobbies industriels et financiers : il n’y aura pas de bon accord en décembre 2015 à Paris.
L’enjeu est double pour les mouvements sociaux et la société civile : d’une part contrecarrer les effets de manche et la communication qui ne manquera pas d’être triomphante, quelles que soient les conclusions de la conférence ; d’autre part favoriser à l’occasion de la COP21 l’émergence d’un mouvement social et international pérenne pour la justice climatique.
Paris 2015 n’est donc qu’une étape dans la nécessaire construction d’un rapport de force à l’échelle planétaire, en rassemblant très largement les différents acteurs de la « société civile » dans le respect de la diversité des stratégies.
Et le démarrage de ce processus peut nous inciter à un certain optimisme.
Initiée par Attac, le CRID et le RAC [[CRID : Centre de Recherche et d’Information pour le Développement. RAC : Réseau Action Climat.]], une large coalition française s’est constituée, regroupant tout le mouvement environnementaliste, des réseaux altermondialistes aux ONG.
Côté syndical, nous retrouvons, outre la FSU, la CGT, Solidaires, et même la CFDT. La CSI elle-même est représentée.
Cette coalition a profité de l’Université européenne des mouvements sociaux à Paris pour convoquer une première réunion, qui fut un réel succès : plus de 200 délégué.es, de 44 pays et des 5 continents, ont travaillé durant 2 jours à confronter leur bilan des précédents sommets, et à discuter d’un espace commun de mobilisation permettant l’expression de la diversité.
C’est une première : lors des précédents sommets, et notamment à Copenhague ou Varsovie, deux grands blocs structuraient le mouvement : le CAN (Climat Action Network) regroupant les principales ONG avec une stratégie assumée de lobbying, et une coalition plus radicale, la CJN (Climate Justice Network).
À ces deux coalitions correspondaient à la fois des stratégies, des objectifs et des alliés différents.
La CAN pariait sur une mobilisation dans l’enceinte des négociations, afin de convaincre les gouvernements, et acceptait les solutions marchandes, tels les marchés carbones comme moyen d’inciter à la transition énergétique.
Le CJN regroupait des réseaux qui misaient davantage sur la mobilisation « off » au sommet, par des manifestations et actions symboliques, tout en avançant la nécessité de « changer le système ».
De même, alors que la CAN misait sur l’UE contre les USA et la Chine pour que le sommet aboutisse positivement, le CJN comptait lui sur l’Équateur ou la Bolivie.
Les préparations des sommets de Lima ou de Paris montrent que la situation a radicalement changé, et tous ces acteurs se retrouvent au sein d’une même coalition.
Si toutes les composantes n’ont pas des positions radicales vis-à-vis du système, elles font le constat de la nécessité d’une mobilisation citoyenne massive pour faire avancer les choses, et sont orphelines d’alliés étatiques progressistes sur la question climatique.
Un calendrier de travail et de mobilisation, d’aujourd’hui à Paris 2015, et même au-delà, a été validé lors de cette réunion internationale, avec des rendez-vous lors des réunions de l’ONU (New York en septembre, Lima en décembre 2014) et un agenda de travail propre à la coalition, avec des réunions régulières de travail à l’échelon européen.
Une forte implication syndicale est un autre élément qui sera décisif pour construire un mouvement social ancré dans les réalités locales.
La construction d’alternatives ne se fera pas sans l’implication et l’association des salarié.es, que ce soit pour les nécessaires reconversions industrielles ou pour imposer, contre les projets de « capitalisme vert », l’articulation de la justice sociale à la révolution énergétique.
Il s’agit dès maintenant de construire une mobilisation sociale large et massive, avec Paris 2015 en ligne de mire. ●
Julien Rivoire et
Vincent Gay