Entretien avec Alain Bihr et Roland Pfefferkorn,[[Alain Bihr et Roland Pfefferkorn (dir.), Dictionnaire des inégalités, Paris, Armand Colin, 2014.
Ils ont notamment signé ensemble Le système des inégalités (2008, La Découverte).
Alain Bihr a publié Les rapports sociaux de classe (Éditions Page 2, 2012) et La préhistoire du capital (Éditions Page 2, 2006).
Roland Pfefferkorn a publié Genre et rapports sociaux de classe (Éditions Page 2, 2012) et Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classe, rapports de sexe (La Dispute, 2007).]]
concepteurs du Dictionnaire des inégalités.
◗ EE : Comment avez-vous procédé pour prendre en compte à la fois les inégalités entre classes, entre hommes et femmes, entre générations, entre groupes « racisés » ?
Alain Bihr et Roland Pfefferkorn : Les entrées du Dictionnaire couvrent huit champs : les inégalités entre classes sociales, les inégalités de genre ou entre sexes sociaux, les inégalités entre classes d’âge et entre générations, les inégalités entre nationalités, ethnies, groupes racisés à l’intérieur d’un même État, les inégalités sociospatiales (entre quartiers urbains, centres et périphéries, entre villes et campagnes, entre régions), les inégalités au niveau mondial (entre États et groupes d’États, entre continents ou régions continentales, etc.), les débats autour des inégalités sociales mettant aux prises les principaux courants philosophiques, politiques et idéologiques, enfin les questions de méthode que posent l’étude et la mesure empiriques des inégalités.
L’exploration de chacun de ces champs a été confiée à un ou deux spécialistes, qui ont pris contact avec les meilleurs auteurs pour la rédaction des entrées afférentes au champ considéré.
Des sociologues, des démographes, des économistes, mais aussi des ethnologues et des anthropologues, des historiens et des philosophes, des statisticiens et même quelques médecins ou juristes ont contribué au travail.
Ce Dictionnaire des inégalités permet de faire le point des avancées des sciences sociales sur toutes ces questions alors qu’elles s’étaient largement détournées de la problématique des inégalités au cours des années 1980-1990.
◗ EE : Vos réponses précédentes laissent entendre que votre Dictionnaire s’inscrit dans un contexte idéologique particulier. En rend-il compte ?
AB et RP : Absolument ! Toute une série d’entrées du Dictionnaire montrent comment le triomphe du néolibéralisme s’est accompagné d’un renouvellement du discours inégalitariste : la légitimation des inégalités sociales, au nom de la défense de la liberté individuelle (d’entreprendre… et d’exploiter) et de la propriété privée (fût-elle fondée sur le fruit de l’exploitation du travail d’autrui) et comme rançon inévitable de l’efficacité économique censée être garantie par la combinaison des deux précédentes.
Nous avons tenu à convoquer les principales idéologies politiques pour éclairer la manière dont elles pensent ou ne pensent pas les inégalités sociales, dont elles les légitiment ou non, etc.
De même, des entrées sont réservées aux principaux penseurs auxquels, à tort ou à raison, ces différentes idéologies se réfèrent : Smith, Tocqueville, Marx mais aussi Aristote, Darwin, Spencer, etc.
◗ EE : En feuilletant le Dictionnaire, on est un peu surpris par le fait que, sur une telle matière, on trouve relativement peu de données empiriques, de chiffres, etc. Pourquoi ?
AB et RP : Des éléments empiriques y sont bien sûrs présents, notamment des résultats d’enquêtes.
Mais nous avons privilégié délibérément les concepts plutôt que l’accumulation de chiffres et de données factuelles, une perspective analytique plutôt qu’une perspective exclusivement descriptive.
On y trouvera par exemple les entrées Apartheid, Blanchité, Castes, Classes, Racisme institutionnel, Rapports de production, Rapports sociaux de sexes ou Sexisme, pour nous limiter à ces quelques exemples.
Par ailleurs nous avons fréquemment décomposé telle ou telle entrée afin de pouvoir traiter la question dans toute sa complexité, les corrélats permettent alors d’y renvoyer. Par exemple à partir de l’entrée École, la lectrice ou le lecteur pourra consulter les entrées Apprentissage et formation professionnelle, École au Sud, École : inégalités de sexe, École : inégalités sociospatiales, Politiques publiques territorialisées.
Suivant le chemin suivi on pourra ensuite rencontrer les entrées Division sexuelle du travail, Mixité de genre, Ségrégation résidentielle, etc. Nous pourrions prendre d’autres exemples, comme Racisme ou Ségrégation qui sont également décomposés. ●
Propos recueillis par
Laurent Zappi