Le système des retraites est constitutif de la construction d’un système de solidarité lié à la création de la Sécurité sociale en 1945 par Ambroise Croizat, ministre PCF, et fortement imprégné du programme de justice sociale et de solidarité du Conseil National de la Résistance. Cependant, il y a en fait 2 systèmes de retraites :
➣ l’un pour le privé est directement inscrit dans les attributions de la Sécurité sociale,
➣ l’autre concernant les fonctionnaires est lié au statut général de la Fonction publique et notamment à la loi du 19 octobre 1946.
La Sécurité sociale a un fonctionnement basé sur le principe de la solidarité et de la justice sociale. On a mis en place un système de cotisations sociales basées sur le travail et fondé sur la mutualisation des risques par le principe de la solidarité intergénérationnelle. Le principe est donc que l’on cotise proportionnellement à son salaire en fonction de ses moyens et que l’on reçoit en fonction de ses besoins pour la santé.
Depuis 1967, elle est organisée en 4 caisses nationales, dont la Caisse nationale de l’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) qui gère la branche vieillesse.
Pour la retraite, on cotise, comme actif-ve, en fonction de ses moyens dans une caisse qui finance les retraité-es, et plus tard les jeunes retraité-es seront financés à leur tour par les actifs-ves etc.… C’est un régime de solidarité où les actifs paient pour les retraité-es. Chaque salarié-e- paie une cotisation proportionnelle à son salaire qui lui donne droit à une pension fixe correspondant à 40, puis 50 % de son salaire. C’est un système par répartition.
Mais cela était insuffisant, c’est pourquoi les syndicats se sont battus pour créer des complémentaires qui vont devenir des régimes de retraite dits complémentaires : l’ARRCO pour toutes et tous et l’AGIRC pour les cadres. Ces caisses deviendront obligatoires pour toutes et tous les salarié-es en 1972. Cette 2ème source de retraite est un système par points qui dépend du montant de la cotisation payée, de sa durée.
Dans la Fonction publique, le système n’est pas le même que dans le privé et les cotisations sont fictives. Il y a bien sur la feuille de paie une cotisation du salarié et une cotisation employeur (l’État) mais ces deux « cotisations » ne tombent pas, comme pour le privé, dans une caisse spécifique fonctionnaires qui alimenterait ensuite le système de retraite, mais directement dans les recettes de l’État qui s’est engagé à fixer une pension à vie. Ce qui signifie que, si ces «cotisations » ne suffisaient pas à alimenter le « régime des pensions (du fait d’un déficit où les recettes de ces « cotisations » seraient inférieures aux pensions à payer), l’État a l’obligation de verser quand même une pension. C’est cela la spécificité du Code des pensions de la Fonction publique.
Les arguments pour modifier les systèmes de retraite
Les arguments économiques et démographiques vont être les moteurs de la mise en cause des retraites dans les années 1990. Ils vont s’enrichir d’arguments idéologiques visant à modifier la perception du fonctionnaire et du retraité .
Le ratio démographique du Régime général, entre retraité-es et actifs-ves, se dégrade d’année en année. À titre de comparaison, il y avait 4,14 cotisant-es pour un-e pensionné-e en 1960 , 3,80 en 1970, 2,68 en 1980, 1,88 en 1990 et 1,59 en 2000.
Le déséquilibre des caisses augmente pour des raisons économiques (chômage) et démographiques. Tout cela va « justifier », idéologiquement comme économiquement, le discours sur la diminution des pensions et l’augmentation du temps de cotisation sous le prétexte que l’État ne peut plus payer ou combler le déficit de la Sécurité sociale.
Quel que soit le ministre, Balladur, Juppé, Fillon, et aujourd’hui Darmanin, quel que soit l’arsenal idéologique de l’argumentaire, toutes les réformes, de 1983 à 2018, n’ont abouti qu’à une seule chose : la baisse drastique des pensions, en jouant sur l’allongement de l’âge de départ à la retraite, la durée de cotisations, la décote pour les retraites incomplètes, la non indexation des pensions sur les salaires et la création de taxes diverses pour l’immense majorité des retraité-e-s.
Les réformes Balladur en 1993
Cette réforme, qui n’a concerné que le secteur privé, s’est résumée à 4 mesures qui ont toutes pour objectif la baisse des pensions :
➣ la durée de cotisation nécessaire pour avoir droit à une pension à taux plein passe progressivement de 150 trimestres (37 ans et demi) à 160 trimestres (40 ans) ;
➣ la création d’une décote pour chaque trimestre de cotisation manquant (1.25 % par trimestre, soit 5 % par an).
➣ l’augmentation de la durée de carrière de référence : la pension était précédemment calculée sur les 10 meilleures années, durée qui sera progressivement portée à 25 années ;
➣ le changement du mode d’indexation des pensions de retraites. Elles seront désormais alignées sur l’inflation (mesurée par l’indice des prix à la consommation), alors qu’elles étaient précédemment indexées sur l’évolution des salaires.
Ensuite, toutes les autres réformes n’ont fait que de généraliser au secteur public, les réformes de Balladur.
En 1995 Juppé a échoué à le faire, mais en 2003, malgré une mobilisation spectaculaire des fonctionnaires et notamment de la FSU, Fillon a généralisé les réformes Balladur à la Fonction publique. Par ailleurs on a commencé à aligner certains régimes spéciaux sur celui de la Fonction publique.
Et le retour de la gauche au pouvoir en 2012 n’a rien modifié. Au contraire, on est allé vers le recul du départ de l’âge à la retraite pour aller vers les 62 ans (sauf quelques exceptions), et on a augmenté le nombre de trimestres à fournir passant de 160 à 168.
A cela s’ajoute dans la Fonction publique un système par capitalisation de points autour de la RAFP mis en place par Fillon.
Les conséquences
La conséquence majeure, c’est bien la baisse des pensions pour toutes et tous. En effet, beaucoup de jeunes galèrent avant de trouver un emploi vers 23 ou 24 ans ce qui leur porte l’âge de départ à la retraite à 65, 66 ans ou plus. Ils subiront donc une décote de 2 ou 3 ans s’ils veulent partir plus tôt (vers 63 ou 64 ans). Les femmes sont également pénalisées car elles ont souvent des carrières incomplètes et donc, à la pension réduite du fait des trimestres manquant, s’ajoutera la décote de 5 ou 25 %. Quant aux salarié-es mis au rebus avant 60 ans, ils-elles vivront d’expédients jusqu’à l’âge légal de leurs retraites, laquelle sera amputée des années où ils n’ont plus cotisé nulle part.
Sans compter l’injustice de la CSG non déductible, l’augmentation des frais médicaux, l’augmentation des dépenses courantes (gaz électricité eau..), ni l’augmentation des cotisations des mutuelles…
Il s’agit d’encourager tous les produits financiers qui visent à constituer un capital complémentaire de type assurance vie ou autres assurances épargne en individualisant au maximum le calcul de la retraite qui devient non un « droit à » mais un choix personnel.
Ces réformes des retraites ont bien été des régressions sociales qui voulaient casser le système de solidarité intergénérationnelle liée à la Sécurité sociale. D’essence libérale, celles-ci visent à individualiser les retraites. Les choix politiques consistant à refuser d’augmenter la part de richesse qui doit aller aux retraités, en privilégiant la diminution des dépenses, aboutit mécaniquement à un appauvrissement des retraité-es. ●
Gilbert Dumas (69)