Les nouvelles évaluations CP sont arrivées dans les écoles à la rentrée. Même si cette mesure, aussi contestable soit-elle par son inutilité en matière d’enseignement ou d’apprentissage pour les élèves, ne fait pas figure de nouveauté sous des gouvernements conservateurs, son inscription dans un projet éducatif global nous oblige à ne pas la traiter par le mépris. Nous avons déjà eu l’occasion de décrypter à partir des nombreux écrits de Blanquer quels étaient ses projets pour l’école et en quoi, sous couvert d’une volonté de faire réussir 100 % des élèves au CP, il prépare le renforcement d’une école à deux vitesses avec un tri sélectif dès le collège et un contingentement de l’accès à l’université. Dans ce contexte les évaluations CP n’ont rien d’anecdotique mais sont emblématiques de cette inflexion voulue par Blanquer.
Il s’agit dans le protocole mis en place de proposer aux élèves une batterie d’exercices tout à fait classiques et qu’on trouve sans difficulté dans les fichiers de CP. La nouveauté ne réside donc pas dans la nature de la tâche à effectuer mais dans le fait qu’on fait abstraction du contexte d’apprentissage, que sont sélectionnées certaines compétences quand d’autres sont ignorées, que ce protocole s’impose à tous et qu’on laisse entendre qu’il permettra de remédier aux difficultés des élèves. Si les sociaux-démocrates s’inspiraient volontiers de la Finlande en matière d’éducation, c’est dans les pays anglo-saxons que les libéraux puisent leur inspiration. Nous aurons l’occasion d’en parler demain mais on peut déjà dire que l’une des particularités des systèmes scolaires de ces pays est d’utiliser les outils pédagogiques à des fins de management. Il s’agit en fait de dé-professionaliser le métier d’enseignant-es pour en faire un instrument des politiques éducatives à l’œuvre. C’est dans cette perspective que nous devons aussi analyser les effets de la mise en place des évaluations CP. Que constate-t-on ? Que les évaluations sont standardisées et que la place des enseignant-es est réduite à celle d’agent de « passation », qu’elles ne prennent pas en compte le contexte de la classe et ignore donc la dimension pédagogique de l’enseignement (celle qui relève des choix de l’enseignant-es), que l’analyse des résultats, et c’est là que se situe l’aspect le plus dangereux pour nous, nous est retirée pour passer au niveau de l’inspection de circonscription, que les réponses en matière de formation, tant sur la forme que sur le contenu, seront « proposées » ou « imposées » ? par les mêmes inspections de circonscription, au vu, non pas de l’activité des enseignant-es mais des résultats des élèves. C’est un changement de paradigme et c’est ce qu’on appelle le pilotage par les résultats, nous y sommes. C’est ainsi que les évaluations des élèves, sous couvert d’amélioration des pratiques vers plus d’efficacité, sont un instrument pour orienter les pratiques, les uniformiser en vue d’infléchir de l’intérieur les finalités du système éducatif. Le recours à la méthode syllabique n’aura pas besoin d’entrer dans les textes, la pseudo-formation saura l’imposer insidieusement et en douceur. Dans ces conditions, c’est bien la professionnalité des enseignant-es qui est attaquée : ce sont des instances exerçant un pouvoir hiérarchique qui sont à l’initiative des choix pédagogiques, des démarches d’enseignement, de la hiérarchisation des savoirs enseignés, des outils d’évaluation. En perdant la maîtrise, non seulement des outils, mais des gestes professionnels, c’est la dimension de conception de notre métier qui est remise en cause. Ainsi dépossédés de notre expertise, la perte du sens de notre métier nous guette.
Blanquer nous a fourni suffisamment d’éléments d’analyse de sa politique à venir pour que nous soyons prévenus et donc pour que nous soyons en capacité de ne pas nous laisser enfermer dans une telle vision de l’école et de notre métier, au risque de devenir nous-mêmes, enseignant-es, les instruments d’une politique éducative dont nous dénonçons les finalités. C’est pour cette raison que nous devons nous opposer fermement à la remontée des résultats des évaluations CP aux circonscriptions, l’utilisation par notre administration des données fournies étant le premier palier de notre assujettissement à ces politiques contraires à la démocratisation scolaire et au respect de notre professionalité. Le SNUipp-FSU se doit de donner une consigne claire à nos collègues et de fournir des éléments d’analyse permettant la reprise en main de leur métier par les enseignant-es. Notre slogan : « reprenons la main sur notre métier » est d’actualité mais pourrait maintenant se transformer en « ne nous laissons pas déposséder de notre métier ». Parce que, à l’instar des métiers de la santé, c’est bien ce qui est en train de nous arriver. Tiens, l’un et l’autre, des métiers très féminisés… Un hasard ?