Il n’aura échappé à personne qu’en juillet une loi dans laquelle il était question de confiance a été promulguée. Dans cette même loi, une phrase n’a pas été modifiée et demeure la même depuis 2005 dans le code de l’éducation. Je vous la cite : « La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. ». Cette phrase, introduite en 2005 sous un gouvernement bien à droite, n’a donc pas été remise en cause et il est intéressant de comprendre pourquoi et de voir ce que nous, nous pouvons en faire.
L’idée de liberté pédagogique
Quelques repères historiques. L’idée puis la notion de liberté pédagogique traversent plusieurs siècles. Déjà, pendant la révolution, Condorcet affirmait : « Aucun pouvoir public ne doit avoir ni l’autorité, ni même le crédit, d’empêcher le développement des vérités nouvelles, l’enseignement des théories contraires à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés ». Plus tard, si l’école de Jules Ferry était une école de la norme, c’est la difficulté scolaire qui a poussé des enseignant-es à développer dans un cadre non autorisé des pratiques innovantes relevant de leur professionnalité. On pense bien sûr entre autres au mouvement Freinet qui perdure avec l’ICEM. Pour faire vite, c’est la loi de 1989 (Jospin) qui a repris certains des principes de l’éducation nouvelle auxquels le syndicalisme enseignant se réfère encore. C’est alors que les milieux conservateurs ont découvert la liberté pédagogique qui était la liberté de » faire comme avant « . Et c’est comme ça, que la liberté pédagogique a été inscrite dans la loi en 2005 par Fillon.
Concernant cet aspect, dans les motifs de la loi Fillon transmis aux parlementaires pour justifier l’article sur la liberté pédagogique, on trouve : « La Nation confie aux enseignants une part essentielle de l’avenir de ses enfants. Elle leur fait confiance pour appliquer, dans les conditions particulières de chaque classe et en tenant compte de la diversité des élèves, les programmes scolaires, pour répondre aux objectifs fixés par l’Etat, pour mettre en œuvre le projet d’école… Tel est le sens de la liberté pédagogique reconnue aux enseignants, fonctionnaires d’Etat, au service de la réussite de tous les élèves.»
Plus récemment, notre ministre Blanquer, pour justifier ses mesures prescriptives pour l’apprentissage de la lecture via le livre orange, a lui même relancé cette question en affirmant que : « La liberté pédagogique n’a jamais été l’anarchisme ». C’est donc pour prémunir l’école d’une supposée anarchie pédagogique qu’il se sent pousser des ailes pour imposer maintenant des protocoles, éléments contraires s’il en est à la liberté pédagogique. Et la hiérarchie joue le jeu ministériel avec son lot de prescriptions plus ou moins locales. Dans certains départements, les IEN donnent même l’ordre d’apprentissage de phonèmes aux enseignant-es de CP !
À défendre sur tous les terrains
Nous en sommes là. Il est maintenant temps de réfléchir collectivement à comment se saisir de cette question en la prenant sous l’angle légal, celui de la liberté pédagogique inscrite dans la loi. Les conditions dans lesquelles elle doit s’exercer sont très dégradées : intensification du travail, manque de formation initiale et continue qui rendent nos collègues perméables aux solutions clés en main, pressions et sanctions possibles, médiatisation de discours partisan et ministériel…. Ces conditions ne doivent pas pour autant nous faire nous faire hésiter devant un affrontement franc avec le ministère, affrontement qui, si les conditions le permettent, peut le conduire lui aussi à devoir se justifier devant le conseil d’état. N’oublions pas, comme le rappelait le SNUipp-FSU sur son site en 2006, que le conseil d’état a plusieurs fois dû statuer sur cette question.
En réponse aux attaques réitérées contre le métier, le SNUipp-FSU s’est emparé de la question de la professionnalité enseignante. Il faut continuer de la porter et de la faire partager en y intégrant la référence légale à la liberté pédagogique. Rappelons-nous que derrière la mise sous tutelle de l’agir enseignant, derrière la prolétarisation de ce métier, il y a une volonté de transformer les pratiques professionnelles afin qu’elles participent d’un projet politique qui a minima s’accomode des inégalités scolaires et du poids que les déterminismes sociaux font peser sur la réussite scolaire.