Depuis l’annonce en janvier de son ambition de réformer la formation initiale des enseignants, Blanquer a distillé pas à pas, lentement mais sûrement, les grandes lignes de son projet. Et ce qu’on a pu appeler des « rumeurs » se sont précisées, jusqu’à la parution du rapport sénatorial de Juillet.
Nous sommes là face à la technique classique pour imposer une réforme à haut potentiel explosif : laisser fuiter quelques pistes, vérifier que les réactions sont faibles, puis les présenter rapidement comme fruits de la concertation après quelques échanges formels avec les organisations syndicales. Subterfuge qui cache mal le pot-aux-roses tant les délais sont courts : clôture des discussions avec les syndicats en octobre pour une mise en place à la rentrée 2019 !
Le risque est donc immense que les organisations syndicales, y compris la FSU, se positionnent à retardement et en ordre dispersé, sur des éléments « petit bout de la lorgnette » alors que face à la hauteur et à la cohérence des attaques, il faudrait bien au contraire avoir quelques coups d’avance sur notre ministre.
Un premier coup d’avance serait d’analyser finement la cohérence politique de ce projet, en lien avec les politiques éducatives libérales menées depuis plus de vingt ans :
– Resserrement sur les fondamentaux avec une formation en ESPE réduite à une « formation survie » pour la prise de poste.
– Déprofessionnalisation des enseignant-es en les réduisant à des simples exécutant-es voué-es au mimétisme des pratiques de l’enseignant-e maître d’accueil temporaire ou de l’enseignant-e responsable de leur compagnonnage.
– Renforcement du contrôle sur l’agir enseignant en mettant la formation initiale sous tutelle par la nomination des directeur-rices d’ESPE directement par le ministre et la création d’un cahier des charges décidé unilatéralement par le rectorat.
– Pilotage par l’évaluationdes ESPE.
Casse du statut et développement des contractuel-les enseignant-es en créant des « pré-recrutements » qui n’en sont pas. Car, ils consistent en réalité à disposer d’une main d’œuvre bon marché et à afficher qu’il y aura peu de classes sans enseignant-es. Les pré-recruté-es auront des missions d’enseignement allant en L2 de « répétiteur-rice » (terme fort moderne instauré en 58) en l’absence de leur enseignant-e à de banals remplaçant-es en M1.
Enfin, pas de belle réforme, sans suppressions de postes, grâce à de jolis tours de passe-passe. Le déplacement de la place du concours avec admissibilité en L3 et admission en M2, permettra de supprimer 25000 postes, en remettant tous les stagiaires à temps plein. Pile poil ce que devrait réclamer Bercy,… mais rassurez vous, ils seront en compagnonnage !
Si vous avez bien suivi, j’ai essayé de traiter du premier coup d’avance : analyser la cohérence globale du projet politique.
Mais après cela, il faudra rapidement porter les autres coups. Et vient donc, le temps de l’action. Et il y a urgence au regard des délais restreints de concertation.
Urgence à lancer un travail d’ampleur fédéral à ce sujet. Urgence à travailler à la co-construction d’une riposte avec les étudiant-es, stagiaires, formateur-rices en les informant d’abord puis en organisant des espaces de réflexion et d’élaboration de revendications et d’actions communes.
Ce, afin de ne pas laisser Blanquer décider tout seul d’une réforme de l’entrée dans le métier qui s’intégrerait à la perfection dans le projet gouvernemental de privatisation du fonctionnement de l’école comme des autres services publics, en enfonçant plusieurs coins dans le statut des enseignant-es, en les isolant, en les laissant seul-es face à une institution qui augmente le prescrit, qui entend définir les « bonnes pratiques » avec une vision partielle et partiale des acquis de la recherche et de faire des enseignant-es les colleporteur-rices de ces « bonnes pratiques »… Ce dont Fillon rêvait déjà en 2005 !