Deux mois après les attentats de novembre, quel bilan tirer des mesures d’exception ?
10 attentats déjoués : sur toute l’année 2015, donc grâce à des enquêtes antérieures à l’état d’urgence. 3021 perquisitions administratives, 4 procédures antiterroristes, 1 mise en examen. Un rendement très faible, mais un nombre impressionnant d’abus : outre les mobilisations citoyennes empêchées, outre la répression de militant-es, de nombreuses perquisitions ont été injustifiées, violentes, avec des familles non pas terroristes, mais terrorisées, et qui retrouvent le même degré de peur que dans le pays en guerre qu’elles avaient fui ! La sécurité peut-elle justifier d’agresser et de traumatiser des milliers de personnes, dont de nombreux enfants ? Pire, certaines perquisitions semblent poursuivre de tout autres objectifs : en Isère, plusieurs ont visé des familles Roms sans-papier, et RESF dénonce : « Il semble évident qu’on assiste à une volonté de terroriser les familles afin de les faire disparaître ».
Le commissaire européen aux droits de l’Homme, s’inquiète des dérives de l’état d’urgence en France, et notamment du profilage ethnique ; on peut même parler de profilage religieux au regard des questions posées par la police aux perquisitionné-es !
Quant à la déchéance de nationalité, prévue dans la réforme constitutionnelle, elle est indigne, discriminatoire, et jette la suspicion sur toutes les personnes d’origine étrangère. Cela ne peut que renforcer le sentiment d’exclusion, surtout quand cette parole est portée au plus haut de l’État, et finalement alimenter d’une part l’islamophobie et la banalisation des idées d’extrême droite, et d’autre part le ressentiment des populations discriminées.
Citons le commissaire européen : « C’est une démarche qui sert la cause du terrorisme, en ce qu’elle confirme que tout le monde n’est pas égal, en ce qu’elle promeut la stigmatisation de certaines communautés ». Est-ce ainsi que ce gouvernement travaille à la cohésion nationale et au vivre-ensemble ?
Il est plus que probable que la menace terroriste ne sera jamais nulle. Devons-nous pour autant accepter le règne de l’arbitraire ? Le droit commun prévoit déjà la plupart des dispositions de l’état d’urgence (mais sous contrôle du juge), et le droit pénal antiterroriste accorde des pouvoirs hautement dérogatoire.
Alors pourquoi inscrire l’état d’urgence dans la Constitution ? Selon le Syndicat de la Magistrature, ce projet vise à rendre la Constitution compatible avec les atteintes aux libertés découlant des mesures d’exception. Hollande est en proie à une frénésie sécuritaire, comme son prédécesseur : on répond à l’émotion, légitime, de la population, dans l’immédiateté, sans prendre le temps de l’analyse, ni du bilan de la loi précédente, et on confie des pouvoirs exorbitants à l’exécutif au détriment du judiciaire. On donne l’illusion d’agir, et on masque le manque de moyens alloués aux services publics, notamment à la justice et au renseignement. Nous ne tomberons pas dans le piège de confondre pouvoirs sécuritaires et pouvoir d’agir.
Mais obtenir la levée de l’état d’urgence ne suffira pas. Car, troisième étage de la fusée, le nouveau projet de loi « renforçant la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » banalise des dispositifs d’exception en les inscrivant dans le code pénal, et brouille encore davantage le principe de séparation des pouvoirs. Sarkozy avait voulu supprimer le juge d’instruction, Hollande va le contourner.
Nous ne pouvons que nous alarmer de ces dérives affaiblissant l’état de droit, et du système de plus en plus sécuritaire qui se met en place, dont on ne sait dans quelles mains il tombera en 2017. Quoi qu’il en soit, l’usage qui en est fait est dès aujourd’hui intolérable, et indigne d’un gouvernement qui se prétend encore de gauche.