L’actualité récente a été marquée par des révélations en cascades de femmes ayant subi des agressions et/ou du harcèlement sexuels : témoignages de célébrités ou d’anonymes, tribunes et interviews qui se multiplient, interpellation des pouvoirs publics… la prise de conscience s’accélère, tout cela venant nourrir la prochaine mobilisation du 25 novembre, journée internationale contre les violences faites aux femmes. Le mouvement, international, n’en finit plus de s’étendre, il touche tous les milieux, toutes les cultures, l’ampleur du phénomène met en évidence son caractère systémique. Et qu’on ne nous fasse pas croire qu’il s’agirait de séduction, de sexualité : non, c’est bien une affaire de domination masculine, de pouvoir des hommes sur les femmes, pouvoir de l’argent, de la hiérarchie, ou dans la sphère privée… Ramener ces agressions à de la « grivoiserie », ou parler de « crime passionnel » pour qualifier un féminicide, c’est participer à l’euphémisation de ces violences. Dans le même registre, que la justice retienne le prétendu consentement d’une fillette de 11 ans qui a été violée est abominable et dédouane le pédophile.
Cette libération de la parole remet sur le devant de la scène le principe « la honte doit changer de camp » ; la tolérance globale de la société à ces agressions diminue nettement. Cela met aussi en lumière les difficultés de signalement, comme le constate le Défenseur des Droits : « Les recours sont trop rares, les procédures compliquées et les démarches se heurtent à l’ignorance, aux préjugés, et aux rapports de pouvoir. » Il est urgent d’octroyer des moyens, en effectif et en formation, dans de nombreux secteurs professionnels : enseignement, travail social, médecine et inspection du travail, police, magistrature… Toutefois, comme le souligne l’AVFT : « Les ordonnances sur le travail vont incontestablement précariser et entraver les recours, internes aux entreprises, et judiciaires, des victimes. » Les indemnités prud’homales ne peuvent pas être à la fois dérisoires et dissuasives !
Apparait de plus en plus clairement la nécessité de lutter contre la domination masculine et contre la « culture du viol » qui imprègnent nos sociétés. On ne peut pas lutter contre les violences et le harcèlement, ou contre les inégalités salariales, sans s’attaquer à tout ce qui les fonde : les stéréotypes de sexes, les assignations faites aux filles et aux garçons, la rigidité des normes de genre, la prétendue complémentarité des sexes qui sert à conforter la hiérarchie entre les hommes et les femmes… Cela passe prioritairement par l’éducation à l’égalité, qui doit faire l’objet d’un enseignement spécifique, contrairement à ce qu’affirme Jean-Michel Blanquer. Oui, monsieur le Ministre, l’égalité ça s’apprend !
La langue peut aussi être vecteur d’inégalités, particulièrement quand elle affirme que le masculin l’emporte sur le féminin, ou qu’elle invisibilise la moitié de l’humanité. Si le débat est légitime sur les formes à utiliser pour la mettre en œuvre, la démarche de l’écriture inclusive visant à une langue plus égalitaire ne devrait plus être questionnée.
Pourtant, la simple signature du Manifeste d’Eliane Viennot nous attire des insultes d’une rare violence (et je vous fais grâce des plus obscènes…) : « saloperies », « profs pétris d’idéologie et de haine contre la France », « gouinasses locales », « qui veulent faire éclater les structures mêmes de nos sociétés et leurs fondations pour laisser libre champ aux vermines importées »… Certains affirment même : Il faut « demander leur renvoi de l’Éducation nationale, et surtout ne pas les oublier le Grand Jour de la Libération… ». Plus modérément, la députée FN Emmanuelle Ménard déclare que le féminisme est une maladie grave. Tout cela nous renvoie aux attaques que nous avons subies en 2013 suite à notre travail contre l’homophobie, nous avions même été traité-es d’assassins d’enfants… Quand le patriarcat est menacé, c’est bien la bête immonde qui montre les crocs.
Face aux levées de bouclier des réactionnaires, il n’y a pas de demi-mesure possible : nous devons assumer la radicalité de nos revendications (et parfois cela demande du courage face à la meute) et nous engager de toutes nos forces dans ce combat, afin d’œuvrer à une société plus égalitaire et émancipatrice. Peut-être même « qu’il n’est plus le temps de lutter ensemble, mais le temps de vaincre. »