« Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées », Tartuffe ou l’imposteur, Molière (1669).
De Tartuffe en Scylla de la morale, il n’y a qu’un pas que certains règlements intérieurs, ainsi que celles et ceux qui les font appliquer, franchissent allègrement.
Le Code de l’Éducation ne comporte aucune liste de tenues autorisées ou interdites aux élèves. Le cadre juridique général laisse aux établissements scolaires le soin de déterminer les autorisations ou interdictions à établir. Les règlements intérieurs doivent théoriquement être élaborés au sein de la communauté scolaire avec les personnels et les usager-es, dont les élèves, puis voté en Conseil d’administration dans le second degré. Ce qui signifie que la « correction » est laissée à l’appréciation des personnels, qui ont intégré les stéréotypes sexistes, comme toute la société, et dont le jugement peut être implicite et normatif.
Comme l’indiquent les préconisations relatives aux tenues vestimentaires des élèves de l’académie de Créteil (septembre 2019), « l’expression “tenue correcte” évoquée dans les textes peut donner lieu à des interprétations très différentes : elle se réfère à des codes et des usages qui varient selon les milieux sociaux, les goûts, les références culturelles, les époques, les régions, les modes ».
La spécificité, en lycée professionnel, des tenues professionnelles est un exemple en soi. Il peut exister des restrictions vestimentaires pour des raisons d’hygiène ou de sécurité, par exemple l’interdiction d’une tenue inadaptée « à une situation de travail, en vertu du règlement intérieur », mais seulement pour ces raisons. Il arrive encore pourtant qu’il soit demandé qu’une tenue correcte, pour une élève dans une filière de service en restauration, d’accueil ou de gestion administration, comporte une jupe. Sexisme ? Discrimination ? Oui.
La sexualisation des élèves dans le regard des adultes
Alors que le mouvement du 14 septembre dernier portait sur le refus de l’hypersexualisation qui s’énonce assez clairement dans ce qu’entendent les élèves (ne pas porter de tenues provocantes, aguicheuses – sous-entendu « tu l’auras bien cherché »), certains règlements intérieurs obligent à porter des tenues professionnelles courtes, parce qu’une jupe fait d’une jeune fille une femme telle que la société souhaite la voir. C’est une autre manière de sexualiser les filles. La définition de tenue correcte ou décente fait ainsi des virages à 180 degrés.
Où est donc cette école qui devrait être un espace protégé, sécurisé, en dehors des stéréotypes ? L’apprentissage de la citoyenneté s’arrêterait-il donc aux portes des stéréotypes que le patriarcat a édictés ? De quel respect est-il question quand certaines jeunes femmes s’entendent dire qu’elles se maquillent ou s’habillent « comme des putes » ?
Le ministère de l’Éducation nationale demande, lui, en septembre 2020, « une tenue adaptée au lieu où l’on se trouve, en l’occurrence un lieu public, qu’on partage avec tous, où s’appliquent le vivre ensemble et le respect d’autrui, et non pas un lieu privé, familial, intime ».
Le corps, l’égalité et la culture du viol
« Les jugements qui sont faits rejoignent souvent des stéréotypes sexistes », affirme Mathieu Devlaminck, président de l’UNL. Il est effectivement plus simple d’interdire plutôt que d’éduquer. Le sexisme existe dans l’Éducation nationale. Le manque de travail pendant des années sur l’orientation des filles et ce qu’ont pu relayer les élèves sur les réseaux sociaux et dans nos établissements le démontrent : il est temps que les générations qui n’ont pas eu de formation, d’information en tant qu’élèves et en tant que personnels réagissent à ces cris d’alarme qui sont finalement les mêmes que ceux qui se sont exprimés dans les dénonciations de harcèlement de rue. Aucune femme ne cherche de la violence, aucune femme ne s’habille pour la subir, qu’elle soit verbale ou physique. Les filles ne sont pas des femmes, mais des enfants. L’école doit être un lieu qui protège des stéréotypes et de la violence sexiste et sexuelle.
La solution ? Certainement pas de répondre qu’il suffit de venir à l’école habillée « normalement » ou en « tenue républicaine », mais une vraie concertation avec les élèves et leurs représentant-es sur les règlements intérieurs, une vraie remise en question et une formation des personnels à ces questions, pour que, dans un avenir proche, le #balancetonbahut puisse laisser la place à d’autres revendications.
Pour Jasmine, en terminale à Sens : « on en a marre que ce soit à nous de nous changer, de nous couvrir, c’est au regard des hommes de changer, ce n’est pas à nous de nous adapter ». ●
Ingrid «Darroman»