C’est le nouveau cheval de bataille des « anti-mariage pour tous » : ils s’engagent contre « la théorie du genre » à l’école, qui viserait à gommer les différences entre filles et garçons sous couvert d’éducation à l’égalité, voire à faire croire aux enfants qu’ils pourront changer de sexe à l’âge adulte… Leur hargne n’ayant d’égale que leur mauvaise foi, il semble utile, pour contrer leurs pseudo-arguments, de rétablir quelques vérités.
Le genre est un concept, un outil d’analyse. Les études sur le genre (gender studies) (1) ne constituent ni une idéologie, ni une cause, mais un domaine de recherche pluridisciplinaire qui fait référence aux qualités, rôles, responsabilités associés traditionnellement aux hommes et aux femmes dans une société, autour de l’idée que, si le sexe est biologique, le genre est une construction culturelle (c’est donc une approche constructiviste). Elles définissent le genre comme un système hiérarchique qui, s’appuyant sur la croyance en « LA différence des sexes », légitime les inégalités en les naturalisant (2).
Une « théorie du genre » qui n’existe pas !
LE genre (à décliner strictement au singulier) désigne le système, et LES sexes renvoient aux catégories produites par ce système. Les études sur le genre décrivent et déconstruisent ce rapport de pouvoir, cette asymétrie entre les hommes et les femmes, qui génère sexisme et homophobie. Une riche tradition de recherche s’est ainsi développée depuis les années 1970 dans le sillage et à proximité du mouvement féministe.
Ainsi, les stéréotypes ancrés dans la société patriarcale nous déterminent selon des normes plus ou moins apparentes. Ce système organise la société, impacte les conduites des femmes et des hommes, en les incitant à voir -et à produire- des différences prétendument « naturelles ». Être sensibilisé-e aux études de genre, c’est, en résumé, être conscient de ces phénomènes, faire la part du culturel, et interroger la manière dont chacun-e peut construire son identité. Sans nier les différences biologiques, mais en les remettant à leur juste place.
Pourquoi un tel épouvantail ?
Ces études se heurtent depuis toujours à de puissants discours essentialistes qui rapportent les différences perçues et la hiérarchie entre les sexes à un invariant « naturel ». Elles viennent donc bousculer la domination masculine, qui se rebiffe évidemment, notamment via les églises. Mais certain-es ne sont pas dupes : « En s’en prenant au genre, l’Église catholique engage une bataille contre les femmes et contre les homosexuels. Cela lui permet de justifier le patriarcat comme système donné de droit divin. » affirme une association catholique féministe. Une autre ajoute : Les antigenre « se sont construit un ennemi imaginaire pour pouvoir combattre en toute bonne conscience l’égalité homme-femme ».
« En prétendant que la « théorie du gender » vise à détruire la différence des sexes via une stratégie de prosélytisme en milieu scolaire, il s’agit d’effrayer l’opinion en jouant sur des penchants dangereux : l’homophobie, l’anti-américanisme primaire et surtout l’anti-intellectualisme. » Elsa Dorlin
Le genre à l’école
Il s’agit simplement d’éduquer à l’égalité filles-garçons, en luttant contre les stéréotypes et les discriminations, et en « s’appuyant sur les résultats scientifiques issus des études sur le genre »(3). À l’échelon international, l’UNESCO le recommande également.
Le système éducatif reproduit les rapports sociaux de sexe, souvent bien malgré lui, par ses hiérarchies entre professionnels, les pratiques de classe et les interactions enseignant/élèves, l’image des disciplines, l’évaluation des élèves, leur orientation, les manuels scolaires… Nous devons veiller à ne pas enfermer nos élèves dans des schémas étriqués, afin de leur laisser ouvert le champ de tous les possibles (orientation scolaire et professionnelle, choix de loisirs), et de permettre l’épanouissement de toutes et tous. Cela se pratique au quotidien, dans nos attitudes et notre gestion de classe, et peut également être traité lors d’activités pédagogiques plus spécifiques. Cela passe obligatoirement par une formation ambitieuse de tous les personnels de l’éducation nationale. ●
Cécile Ropiteaux
1) En France, on parlait plutôt de « rapports sociaux de sexe ».
2) cf. Cendrine Marro.
3) Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons,
les femmes et les hommes dans le système éducatif – (février 2013).