Blockadia et Alternatiba : Deux des piliers d’un mouvement global pour la justice climatique

Aux quatre coins de la planète, nous observons un virage « éco-territorial » des luttes sociales. Ce terme est utilisé par la sociologue argentine Maristella Svampa pour caractériser l’essor en Amérique latine des luttes comme « Blockadia » (mobilisations en Amérique du Nord contre la construction de nouveaux pipelines) qui mêlent engagement écologiste et pratiques de la résistance et de l’alternative inscrites dans des territoires. Il s’agit des mobilisations qui visent à stopper l’expansion de la frontière extractiviste (des hydrocarbures de schiste aux nouveaux projets miniers) et la construction de nouvelles infrastructures inutiles, imposées et/ou inadaptées (aéroports, autoroutes, barrages, stades, etc.).

Il s’agit également de mettre en lumière les dynamiques d’innovation et de renforcement des expériences alternatives concrètes qui se déploient dans de très nombreux territoires, comme « Alternatiba » en France (mouvement lancé en octobre 2013 à Bayonne par Bizi ! et des dizaines d’organisations basques, espagnoles et françaises).

Ces deux processus sont au cœur de la recomposition des alliances et dynamiques militantes en faveur de la justice climatique. Ils ont en commun de partir du territoire, du local, des lieux de vie, de travail et d’habitat. Ce territoire n’est pas un confetti qu’il faudrait sauver des dégâts du productivisme, de l’industrialisation ou de la mondialisation néolibérale. Il est au contraire l’espace à partir duquel se pense et s’expérimente le dépassement des modèles économiques, financiers et technologiques insoutenables actuels.

Ces dynamiques militantes ne sont pas nouvelles en soi. Mais elles se renforcent et occupent une place grandissante dans la réalité des luttes et des imaginaires actuels autour de la justice climatique. Elles font par ailleurs écho aux bilans d’après Copenhague des coalitions Climate Justice Action(1) et Climate Justice Now !(2) qui pointaient déjà la nécessité de ne pas faire dépendre exclusivement la construction d’un mouvement global pour la justice climatique de l’agenda des sommets internationaux. Contre les projets climaticides et pour mettre en œuvre des solutions directes, engagement avait été pris de s’appuyer sur des formes de solidarités translocales – des solidarités entre des luttes ou des alternatives ancrées sur les territoires – comme vecteur de la construction d’un mouvement global.
Ce défi, colossal, est toujours présent : comment relocaliser et ancrer nos imaginaires et nos mobilisations dans des expériences et des réalités concrètes, y compris de la vie quotidienne(3), dans la perspective de redécouvrir notre puissance d’agir collective ? Il nous faut sans doute apprendre à nous dégager, au moins pour partie, d’une logique de sensibilisation et de mobilisations citoyennes qui repose uniquement sur la diffusion des connaissances scientifiques et des paroles d’expert-es : il ne suffit pas de savoir que le réchauffement climatique est là pour passer à l’action. Si l’empilement des rapports d’expertise n’implique pas mécaniquement des mesures et des politiques à la hauteur des enjeux, il ne déclenche pas non plus la mobilisation citoyenne générale. Au contraire, cette seule approche génère sans doute plus de sidération que d’engagement.

C’est tout l’enjeu de Paris2015 : arriver à la fois à construire à partir de la diversité des collectifs luttant pour la souveraineté alimentaire, la transition énergétique, la conversion des systèmes productifs, la justice sociale et les biens communs, contre les projets inutiles, contre la financiarisation de nos sociétés et de la nature… tout en arrivant à dépasser leur dispersion actuelle. Rejouer Copenhague, autour de l’idée du « sommet de la dernière chance » en faisant grimper les attentes autour des négociations, conduira aux mêmes déconvenues qu’en 2009.

Par contre, utiliser la COP21 comme une caisse de résonance des luttes et alternatives existantes, tout en se confrontant à un système de négociations intergouvernementales qui n’apporte rien de sérieux sur la table, nous apparaît comme un puissants levier pour construire de la radicalité, faire bouger les lignes et gagner des batailles clefs, notamment celles qui se déroulent à l’extérieur des négociations (contre les multinationales, Tafta, pour la transition sur les territoires, etc). Pour que la mobilisation autour de la COP21 ne soit pas un feu de paille et que les collectifs citoyens que nous construisons perdurent en 2016 et au-delà. ●

Maxime Combes,
économiste, membre de l’Aitec et d’Attac France

1) Climate Justice Action était un réseau d’activistes promoteurs d’actions directes durant la conférence de Copenhague : http://en.wikipedia.org/wiki/Climate_Justice_Action

2) Climate Justice Now ! est l’une des deux coalitions internationales de réseaux et d’organisation, avec le CAN, reconnues par les Nations-Unies et qui insiste sur l’importance de la justice sociale et bataille contre les « fausses solutions », y compris la finance carbone – http://www.climate-justice-now.org/fr/

3) Jade Lindgaard, Je crise climatique,Éditions La Découverte, Paris, 2014.

Pour aller plus loin,

lire : https://france.attac.org/se-mobiliser/changeons-systeme-pas-climat/article/blockadia-et-alternatiba-les-deux

Blog : Paris2015 : Changer le système, pas le climat ! (en accès libre) – http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes

Twitter : MaximCombes