La période que nous vivons est singulière. Alors que le gouvernement, empêtré dans ses dogmes libéraux se révèle incompétent dans la gestion de la crise sanitaire et bégaye des choix politiques qui renforcent le caractère inégalitaire de son impact, doublant la crise sanitaire d’une crise sociale, le mouvement social ne semble pas en mesure de construire les mobilisations d’une ampleur nécessaire pour imposer une autre gestion de crise. Elles ne sont pourtant pas absentes, les manifestations contre les lois liberticides de novembre-décembre ou l’engagement des enseignant-es dans la grève du 26 janvier en témoignent. Elles restent cependant encore en deçà de ce que pourrait engendrer une telle mise à nu de l’incapacité du libéralisme à répondre aux besoins sociaux et sanitaires et aux crises que son mode de développement a largement contribué à façonner. Mais, si l’on en croit le FMI, cette contradiction n’est qu’apparente.
Le calme avant la tempête
S’appuyant sur une analyse historique des mouvements sociaux, des chercheurs de cet institution tendent à montrer un lien entre pandémies et « désordres sociaux » estimant que « les pandémies conduisent à des risques significativement plus élevés de désordres sociaux quatorze mois » après la crise sanitaire, celle-ci « mettant en évidence et exacerbe des problèmes préexistants comme le manque de confiance dans les institutions, une mauvaise gouvernance, la pauvreté ou des inégalités croissantes ». Le calme pendant le plus fort de la crise serait donc la norme. Le réveil social n’arrivant que lorsque la situation est décantée.
Mais quelle tempête ?
Le gouvernement mélange improvisation, communication mensongère et maintien du projet politique libéral d’avant Covid. Alors que les services publics ont été au cœur de la prise en charge de la pandémie, alors que la crise économique fait d’ores et déjà des ravages, aucun changement de cap n’est annoncé en termes d’investissements, de participation des plus riches au financement de la dette, de lutte contre la fraude fiscale, de politique en faveur de l’emploi… Et, les échéances présidentielles approchant, quand la pandémie et sa gestion erratique mettent en difficulté l’exécutif, ce sont les terrains du tout-sécuritaire, du racisme et de l’islamophobie qui sont utilisés à des fins dérivatives. Tout ceci ne fait au final que progresser individualisme, nationalisme, et autres réponses à l’opposé de celles nécessaires pour inverser le cours des choses vers une société plus juste et plus solidaire.
Les sondages mettent en lumière que le RN est aux portes du pouvoir et prophétisent un affrontement Le Pen – Macron au second tour de la présidentielle qui signerait une défaite du camp du progrès social et de la lutte contre les inégalités et les discriminations.
Si l’on ne fait rien, et il est de la responsabilité du syndicalisme de transformation sociale de faire quelque chose, la tempête devant nous pourrait être une déferlante.
Requalifier la situation générale d’un point de vue social
Le syndicalisme a donc fort à faire dans la période. Il se doit de promouvoir une grille de lecture permettant de saisir en quoi le premier des affrontements est social, tant les plus riches entendent ne rien lâcher. Personne ne peut nier que plusieurs crises coexistent : sanitaire, économique, écologique et sociale. Mais ces crises sont avant tout le produit de modes de production écocides, d’une organisation sociale qui vise à déposséder la majorité des fruits de son travail, à l’exploiter pour garantir un sacro-saint profit à une minorité, à déléguer les pouvoirs de décisions aussi bien à des instances supra-nationales adémocratiques qu’à des dirigeant-es qui ne cherchent qu’à préserver ce fonctionnement. C’est le maintien de ce système libéral, qui leur préexiste, qui empêche de résoudre ces crises.
La crise sanitaire, combattue de façon conséquente et dans l’intérêt de l’humanité, aurait ainsi dû amener les États à faire tomber les brevets pharmaceutiques, à obliger les usines à mettre leurs productions au service de l’accès de toutes et tous aux vaccins et aux masques, à la réquisition de la médecine privée, à un investissement massif immédiat et à long terme dans le soin public en terme de recherche, de recrutements et de capacité d’accueil…. Le tout dans une démarche à l’échelle de la pandémie, c’est-à-dire mondiale, refusant les pièges du souverainisme qui fait passer « les nôtres avant les autres ».
La réalité en est l’exact opposé : les laboratoires pharmaceutiques, hautement subventionnés, s’enrichissent comme jamais. Les États se mettent en concurrence pour obtenir des vaccins, la population le paie aussi bien psychologiquement et dans ces conditions de vie, en nombre de morts, qu’économiquement. La crise dite sanitaire et les crises multiples qu’elle engendre, ne trouveront pas de solution dans une gestion capitaliste.
Ainsi que la question scolaire
Le creusement des inégalités scolaires et l’épuisement professionnel croissant des enseignant-es depuis maintenant un an sont le produit de l’imbrication de la crise sanitaire, de sa gestion par le ministère et de l’état du système éducatif qui préexistait. La crise a permis d’identifier de façon remarquable ce qui manquait déjà à l’école avant. L’individualisation des tâches scolaires, de la relation pédagogique, promue par le ministre et poussée à son paroxysme pendant le confinement a eu les conséquences attendues en termes de creusement des inégalités, que payent d’abord les élèves issu-es des classes populaires. Les élèves les plus connivent-es avec la culture scolaire ont pu vaille que vaille se dépêtrer de la situation. L’école souffre d’une année d’apprentissages perturbée, de déficit d’apprentissage qu’il y a nécessité de rattraper, de violences faites aux enseignant-es qui ont dû porter à bouts de bras le système scolaire face à l’inanité de son ministre.
De protocoles inapplicables à des protocoles inefficaces, communiqués à la profession via BFM TV deux jours avant leur mise en place effective, des tests jamais arrivés à la vaccination non-prioritaire, du scandale des masques toxiques à leur non-fourniture gratuites dans nos écoles, tout cela à l’aune de mensonges flagrants sur les chiffres, l’absence de stratégie sanitaire scolaire est une évidence. La seule stratégie visible étant celle de la poursuite du projet global de Blanquer pour l’école. La pandémie n’a provoqué aucun arrêt dans sa mise en place ( « fondamentaux », éducation prioritaire, maternelle, pilotage par les évaluations, direction d’école…). Au contraire, le ministre assemble méthodiquement et avec obstination les pièces de son puzzle dont il nous faut continuer à rendre visible la cohérence destructrice pour l’école et ses agent-es.
L’école a effectivement besoin d’un véritable plan d’urgence pour se relever de ce qu’elle a subi et pour lutter contre les inégalités. Elle a besoin de plusieurs dizaines de milliers d’enseignant-es supplémentaires pour alléger les classes, permettre des plus de maitres-ses que de classe, la reconstitution des RASED, des remplacements partout par de véritables enseignant-es. Elle a besoin de tourner résolument le dos aux fondamentaux de la politique Blanquer dont les effets dévastateurs ont été potentialisés par la crise. Le tout en prenant en compte l’aggravation des conditions de vie et les violences vécues par nos élèves en renforçant la prise en charge des problématiques sociales au sein des écoles (AS, infirmières…).
L’élaboration d’une politique éducative alternative, traitant réellement les effets d’un an d’une école sous COVID doit constituer une de nos priorités de la période. Pour que les seules victimes de la tempête d’après soient Jean-Michel Blanquer et sa politique.
Incarner notre campagne « un plan d’urgence pour l’école »
A l’échelle de l’Éducation Nationale, les récentes grèves comme les mobilisations autour de la carte scolaire, dans le contexte difficile que nous connaissons, ont montré que la colère était présente et que des possibles existaient. Et c’est le SNUipp-FSU qui a permis cela.
Reste, après la grève du 26 janvier et sans échéances précises de mobilisation qui se dessinent, à identifier concrètement des batailles prioritaires à mener et comment les incarner avec les personnels pour imposer notre plan d’urgence pour l’éducation dans ses trois dimensions : moyens, salaires et métier.
Identifier des axes de revendications tels qu’une dotation exceptionnelle de postes pour préparer une prochaine rentrée toujours affectée par la crise, tels que le relais de travaux de recherches donnant des possibles pour une éducation ambitieuse pour toutes et tous ou encore tels qu’une priorité de vaccination pour les personnels des écoles.
Décliner la campagne syndicale à mener en mettant l’accent sur un renforcement du lien avec les personnels tout en la rendant visible également médiatiquement à travers des actions nationales militantes. A travers des stages et des RIS permettant la reprise en main effective du métier. A travers une subversion des possibilités de recours sur les mutations pour bâtir du collectif à partir de situations individuelles et (re)gagner un début de cadre permettant équité et transparence. Sans oublier le renforcement de notre outil syndical en démultipliant les occasions d’y adhérer.
Identifier et décliner ensemble finement lors de ce Conseil national tous ces aspects est indispensable pour faire vivre et incarner avec les personnels notre plan d’urgence pour l’école.
Prendre les initiatives pour que la tempête soit celle du mouvement social
À l’instar de l’école, que les personnels tiennent à bout de bras, la société ne fonctionne que par l’action des premièr-es de corvées. Et c’est ce que cette période si particulière met en évidence, depuis un an. Tout comme elle met en évidence la volonté de préserver l’existant coûte que coûte pour celles et ceux qui en profitent.
L’histoire nous a montré que ce n’est pas dans les plus forts temps de crise que les bouleversements sociaux émergent mais qu’ils surgissaient en quasi concomitance. Et que, sans action organisée et convaincue du mouvement social, le pire était toujours possible.
Nous sommes dans cette situation. Celle où la concrétisation de changements radicaux est une éventualité qui amène le système, et le pouvoir à son service, à l’action résolue pour se sauvegarder.
La responsabilité qui incombe au syndicalisme est donc grande. Mais il n’y a aucune fatalité.
Et la détestation de l’exécutif, de sa politique, la volonté majoritaire dans la population d’un après qui ne soit pas comme avant, sont le point d’appui pour réussir à ancrer des mobilisations sectorielles dans l’éducation nationale, dans la fonction publique et d’unir le salariat, la jeunesse vers un autre futur. Notre rôle de militant-es syndicaux de transformation sociale, les milliers de militant-es sur le terrain font de notre outil un formidable levier pour porter un autre projet pour l’école et la société.
Faire réellement vivre par en bas les outils existants, le syndicalisme comme le collectif « Plus jamais ça », imposer un autre agenda et d’autres débats à l’échelle nationale nous oblige à prendre les initiatives nécessaires. Pour renverser la vapeur, actionnons tous ces leviers.