Le 31 mars dernier, le mouvement contre la loi Travail a rassemblé plus d’1,2 millions de manifestants à travers toute la France. Mais le 31 mars dernier, ce mouvement a aussi produit autre chose. À Paris, place de la République, et quelques jours plus tard un peu partout en France et même en Europe, il y a eu des gens pour dire qu’ils ne rentreraient pas chez eux. Le 31 mars dernier, le mouvement Nuit Debout est né.
Ce nouveau mouvement d’occupation des places résonnent fortement avec ceux qu’ont connus en 2010-2011 pays arabes d’abord, puis l’Espagne, la Grèce, les Etats-Unis. Un mode d’action commun, l’occupation pour débattre, construire une parole collective quitte à en prendre le temps. Et une critique radicale du système dont un des déterminants essentiels est certainement la critique démocratique.
Nuit Debout n’est cependant pas l’exact décalque de ces mouvements. Il suffit de comparer le nombre de participants à cette nouvelle forme de mobilisation par rapport par exemple à ce qu’a connu l’Espagne. Ce nombre est bien moins important. Et c’est certainement dû au fait que le mouvement social en France reste largement structuré par un syndicalisme de lutte capable de mettre régulièrement plusieurs centaine de milliers de gens dans la rue.
Néanmoins, il faut être attentif à ce qui s’y passe de nouveau.
En effet, le mouvement social a régulièrement la capacité de se réinventer en terme de mode d’action et de discours, pour redevenir agissant. Ainsi en 1995, un nouveau cycle de mobilisation s’est ouvert, avec comme modalité d’action principale la manifestation de masse, un secteur porteur de la lutte (les cheminots en 95, les enseignants en 2003, les étudiants en 2006, les raffineries en 2010), et comme élément de critique principal la critique économique avec notamment la naissance d’ATTAC.
Force est de constater qu’avec ce mouvement contre la loi Travail, même s’il y a des éléments de continuité (notamment la capacité à construire des manifestations importantes), il y a aussi des éléments de nouveauté : l’absence à ce jour d’un secteur moteur de la lutte. Et Nuit Debout avec ces espaces qui s’ouvre pour libérer la parole . Ce qui peut donner les coordonnées d’un nouveau cycle de mobilisation en germe.
Le syndicalisme se doit de regarder et de participer à ce qui se passe à Nuit Debout, d’être à l’écoute de ce qui s’y joue, et ce pour deux raisons. La première tient au fait qu’il nous faut gagner contre la loi Travail. L’intersyndicale en a bien évidemment l’ambition. Le mouvement Nuit Debout aussi quand il appelle à rejeter la loi Travail et son monde. Les appels à convergence entre le syndicalisme et Nuit Debout se sont multipliés. La CGT et Solidaires sont intervenus es qualité place de la République. Bien évidemment il n’y aura pas de victoire sans le travail des équipes syndicales militantes pour amplifier et durcir la mobilisation avec déjà les dates du 12 et du 17 mai. Mais le travail de convergence avec Nuit Debout peut être un élément de cette amplification, comme l’ont été les réseaux sociaux dans le lancement du mouvement. La FSU doit elle aussi intervenir dans la construction de ces liens.
La deuxième réside dans l’idée que l’expérience Nuit Debout peut nourrir le syndicalisme. Faire évoluer ses répertoires d’action et son discours. En mettant en avant d’une part la question de l’ancrage dans un territoire par l’occupation comme moyen de libérer la parole et d’autre part la question démocratique comme élément d’une critique radicale, ce mouvement trace des lignes. Il nous faut certainement aller vers cela, un syndicalisme qui ouvre au plus près des lieux de travail des espaces, afin de reconstruire des collectifs de travail agissant, capable de redéfinir leurs métiers, de porter la critique démocratique dans l’organisation même du travail.
Donc oui. Être attentif à Nuit Debout. Pas pour se dédouaner de la construction des mobilisations. Mais pour identifier comment renouveler et renforcer l’action syndicale.