L’ampleur de la mobilisation du 24 juin a surpris le gouvernement. Pratiquant l’esquive et le mensonge, il pensait canaliser la contestation. L’annonce mi-juin du contenu de la contre réforme a sonné comme un avertissement. Dès lors, les salariés connaissaient leur feuille de route de rentrée : grève et manifestation. La journée du 7 septembre sera la première de ce qui doit rapidement déboucher sur une grève générale, à la 95, pour cette fois gagner…
Les mesures annoncées feraient du système des retraites français l’un des plus durs d’Europe, celui qui creuserait encore plus les inégalités.Annoncée le 16 juin et présentée dans les détails quelques jours plus tard, la contre réforme des retraites a bien été comprise pour ce qu’elle était par les salariés : une machine à baisser les retraites, à user les travailleurs et à répondre à une autre question, les gages donnés par la France aux marchés financiers et à la Commission européenne.
Et ce ne sont pas les détails connus à l’occasion de la présentation du projet de loi en conseil des ministres qui ont arrangé les choses.
**Parce que nous le valons bien !
On pensait avoir tout vu quant à la conception du « dialogue social » de ce gouvernement. Pourtant, une fois adopté par le conseil des ministres du 13 juillet, le projet de loi a été examiné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale… à huis clos, pendant deux jours. Une telle sollicitude n’était-elle pas de nature à ne pas encombrer l’esprit des français pendant la période estivale ?Il est vrai alors que Woerth, empêtré dans ses affres avec la maison Bettencourt, voulait se faire le plus discret possible. Ainsi, fidèle au monologue social qui le caractérise, le gouvernement n’a laissé filtrer que peu d’éléments de ces « débats ». Ce qui ne l’a pas empêché de faire croire à l’opinion que les discussions se poursuivaient avec les partenaires sociaux.
Qu’en ressort-il ?
Woerth a rejeté tous les amendements susceptibles d’atténuer les effets de sa contre-réforme comme ceux qui les durcissaient. Et bien entendu, ceux qui en demandaient la suppression [[Voir sur le site de la FSU les notes détaillées sur le projet.]].
L’examen définitif par l’assemblée débutera donc le 7 septembre pour s’achever au Sénat le 1er octobre, le tout en une seule lecture par les deux assemblées.
Autant dire que Sarkozy veut aller vite, pour ne pas laisser la contestation s’installer, et passer à autre chose avec son remaniement ministériel.
**Une contre-réforme parmi les plus dures
Répondant aux desiderata du MEDEF, Woerth a concocté la réforme la plus régressive en Europe de l’aveu même de la presse (voir les comparaisons ci-contre). Rappelons les grandes lignes : – Décalage des bornes d’âge pour un droit au départ à 62 ans et à 67 ans pour une retraite à taux plein, couplé à l’allongement de la durée de cotisation à 41 annuités, puis 41,5.C’est la mesure qui permet de réaliser rapidement quelques milliards d’économies car elle est censée réduire, dès 2011, le nombre de départs à la retraite et donc leur coût. Le niveau du chômage en atteste : un grand nombre de salariés sont aujourd’hui hors emploi au moment de liquider leurs droits à la retraite. Ce report de l’âge légal va les maintenir plus longtemps dans les revenus de remplacement, bien inférieurs à leur future pension et baisser celle-ci avec les mécanismes de la décote. Quant aux jeunes qui entrent plus tardivement dans la vie active et généralement par la case précarité, le durcissement des conditions conduit à décrédibiliser l’idée même qu’une retraite décente par répartition est possible… Pour les inciter à une hypothétique capitalisation ? – La pénibilité : elle prenait en compte les contraintes particulières subies pendant la vie professionnelle et ayant pour conséquence une moindre espérance de vie. En médicalisant la question, le gouvernement donne entière satisfaction au MEDEF.
Trois familles de pénibilité existent : les contraintes physiques marquées, un environnement agressif et les rythmes de travail. Précisons que pour les deux derniers groupes ne figurent pas les risques psycho-sociaux, les troubles musculo-squelettiques. En 2008 un rapport parlementaire estimait à 20 millions le nombre de salariés touchés par au moins un des critères et à 1 million le nombre de ceux qui devraient bénéficier d’une compensation à ce titre (Alter Eco septembre 2010). En fixant un taux d’invalidité de 20 % au salarié, qui doit la justifier individuellement après un long parcours médical, le projet gouvernemental chiffre à 10 000 les personnes concernées. Le MEDEF, lors de son université d’été de cette rentrée, a réaffirmé son hostilité à reconnaître les risques collectifs dus aux métiers ou conditions de travail par secteur d’activité. – Inégalités hommes/femmes : elles sont présentes partout dès l’entrée dans la vie active, en particulier au niveau des salaires. Les femmes sont par ailleurs très majoritairement les plus exposées au travail éclaté et à la précarité. La décote amplifie ces inégalités pour la retraite, constituant une double peine pour les femmes à cause de leurs carrières courtes. L’allongement de la durée de cotisation et le recul des bornes d’âge vont amplifier ces effets. – Pour (ou plutôt contre) les fonctionnaires, c’est au nom de l’équité entre les régimes que le gouvernement justifie un alignement par le bas : allongement de la durée de cotisation et baisse de la pension, baisse des salaires par l’augmentation de la cotisation salariale, suppression du droit au départ anticipé au bout de 15 ans de service après avoir élevé 3 enfants, fin du minimum garanti de la pension à 60 ans.
Le relèvement du taux de retenue pour pension des fonctionnaires (de 7,85 % à 10,55 % en dix ans) est en fait une façon déguisée de baisser les salaires, puisque la pension du fonctionnaire, en tant que salaire continué, est budgétée chaque année. Le gouvernement aurait dû compenser cette hausse de cotisation par un relèvement des salaires bruts. Avec le gel des traitements pour les années à venir, ce dispositif conduit à une baisse historique du salaire net des fonctionnaires. Cette mesure représente d’ici 2018 une économie de 5 milliards d’euros. Les prélèvements sur le capital et les hauts revenus se chiffrent eux, à 4,6 milliards d’euros. Cherchez l’erreur.
Concernant le minimum garanti, il serait attribué sous les conditions d’accès au taux plein, donnant ainsi toute son efficacité au système de décote. Près de la moitié des agents de la FPT sont de loin les plus concernés, mais aussi les TOS et des administratifs. Cela peut occasionner jusqu’à 140 euros de baisse par mois. ++++
**Une mobilisation pour gagner !
Toutes les organisations syndicales sont mobilisées contre le projet de contre-réforme. FO, qui n’a pas signé l’appel unitaire a toutefois appelé à la grève et aux manifestations. La FSU, Solidaires, FO se sont prononcées pour le retrait de cette réforme en faisant pour les deux premières des contre propositions de financement pour revenir sur les régressions de 1993 et 2003 et conquérir des droits nouveaux.La CGT et la CFDT alignent leur pas avec l’objectif d’amender le projet gouvernemental. Chérèque, dès la rentrée, a exposé les quatre conditions permettant de renouer les discussions : retirer les 67 ans comme date limite, discuter de la pénibilité, des carrières longues et des poly-pensionnés.
Sur les bornes d’âge, il vient d’essuyer un camouflet de la part de Woerth. Sur la pénibilité, le MEDEF a répondu, même si Sarkozy et ses collaborateurs semblent prêts à de légers bougés (du type taux d’invalidité à 10 % au lieu de 20). Guéant laisse croire qu’il y a du grain à moudre aussi sur les carrières longues et les poly-pensionnés, mais pas question de toucher au cœur de leur projet.
Nous connaissons l’enjeu politique, économique, idéologique que représente l’affaire des retraites, tant en France qu’en Europe. Croire que l’on peut négocier quelque chose est une supercherie. Il faut obtenir par la mobilisation le retrait d’un tel projet. Une victoire sur le retrait ouvrirait alors des perspectives dans le rapport de force qui se joue entre le patronat et le salariat dans le partage des richesses.
Dans cette bataille autant idéologique que pratique, les collectifs unitaires sont très actifs, les syndicalistes y sont présents.
Nous disions à la veille du 24 juin dernier qu’il fallait construire la grève générale susceptible d’arrêter la tempête annoncée. Face à un pouvoir affaibli politiquement, il est encore plus que temps. La responsabilité des organisations syndicales est engagée. Le 4 septembre 2010. [(Dure, la France de Sarkozy L’argument est martelé : « il est normal de reculer l’âge d’ouverture des droits à la retraite pour l’ajuster à l’allongement de la durée de la vie. Tous les pays européens le font, la France est en retard. »
Sauf que dans tous les systèmes, l’âge minimum de départ n’est qu’un paramètre du système. Entrent en compte la durée de cotisation minimale requise, les conditions d’âge et d’accès à une retraite à taux plein, l’âge réel de départ et les dispositifs de retraite anticipée. Sur tous ces critères, la contre-réforme française s’avère la plus dure.
Woerth cite volontiers l’Allemagne ou l’Espagne ou d’autres pays européens pour étayer ses propos.
Petit rappel :
Le projet Sarko : 65 ans et 67 ans horizon 2018. Espagne et Pays-Bas, 67 ans, horizon 2025. Danemark horizon 2027, Allemagne horizon 2029 et même Royaume-Uni 68 ans à l’horizon 2046.
La France a combiné, dans un laps de temps très court (8 ans) recul des âges (62 et 67 ans) et allongement de la durée de cotisation requise, 41,5 ans d’ici 2020.
Au contraire, les pays européens qui s’engagent aussi dans la voie du relèvement des seuils d’âge compensent ce durcissement par des durées de cotisations inférieures [Voir le dossier complet d’Alternatives Economiques n°293 de juillet 2010 :[ www.alternatives-economiques.fr]]. La loi Fillon de 2003 avait déjà rogné sur les compensations existantes.
Au final, si cette contre-réforme s’applique, le retraité français verra sa retraite amputée le plus fortement par rapport à ses collègues européens. Et les inégalités déjà criantes, en termes de niveau de retraite et d’espérance de vie selon son parcours professionnel s’accroîtront.)]