Mary David, sur les réformes de l’enseignement supérieur et du baccalauréat

J’interviens sur les projets actuels de réformes de l’enseignement supérieur et du baccalauréat (la première étant plus avancée).

Je voudrais insister sur le fait que ces réformes portent un modèle dénaturé de l’enseignement secondaire et supérieur. Elles sont cohérentes idéologiquement. Les textes disponibles, que ce soient les écrits de Blanquer ou des contributions des conseillers de Macron en montrent la cohérence. La feuille de route est écrite. D’une certaine façon, ça nous facilite la tâche car on peut vérifier la cohérence idéologique d’ensemble et anticiper le coups à venir.

La réforme de l’accès au supérieur est présentée comme une réforme de l’orientation et la fin du tirage au sort. C’est un mensonge. Il faut nommer les choses : c’est la réforme de la sélection pour tous à la fin du lycée, c’est la fin de la libre inscription, la fin de l’interdiction de sélectionner, la fin de l’université ouverte à tous (y compris aux non bacheliers).

Dans le supérieur : les ministres Blanquer et Vidal se sont appuyés sur le scnadale de ceux qui n’avaient pas obtenu de places à l’université cette année. Or ce scandale a été organisé en baissant es moyens des université en valeur absolue et relative : moins 1000 ETP d’enseignants-chercheurs entre 2014 et 2016, alors que les effectifs étudiants augmentent de 130 000 sur la même période (dont 95 000 sur la seule université).

Bien sûr, la sélection n’est pas obligatoire, mais seulement une possibilité pour les filières universitaires. Mais l’exemple de la réforme master est éclairante : presque tous les masters ont saisi la possibilité de sélectionner, quitte à fermer à cause d’une hyper sélection !!

Mais la réforme de la sélection ne suffira pas : si tous les bacheliers généraux peuvent s’inscrire en licence de droit, par exemple, cela fera encore trop. Et comment discriminer entre eux s’ils ont le même diplôme ?

Les ministres l’ont dit explicitement : on commence par la réforme du supérieur puis on décline au lycée. La réforme du lycée découle donc de celle du supérieur. Aucun diplôme national ne doit plus ouvrir de droit à une filière universitaire.

Donc la réforme du baccalauréat qui s’annonce défait le cadre national du baccalauréat : vers un diplôme individualisé. Le développement du contrôle continu rendrait le bac local, et son caractère individualisé ferait peser sur les jeunes la responsabilité de la sélection.

On voit là la cohérence du fameux bac – 3 / bac + 3

Alors, certes, il y a assez de places dans le supérieur pour tous les bacheliers. C’est grâce au développement de l’offre privée (+60 % d’effectifs dans le supérieur privé entre 2000 et 2012, contre 5,5 % à l’université publique).

Mais il y a encore un autre point montré par les Macronleaks et les documents produits par les conseillers de Macron : la sélection dans le supérieur est un moyen pour augmenter les frais d’inscription et passer à un modèle de financement privé. Les études seront financées par les prêts étudiants (cf documents envoyés par Claire Bornais au CDFN le 21/11).

Donc la question n’est pas seulement de savoir quel enseignement supérieur nous vouons, mais aussi : quelle école nous voulons ? Sommes-nous prêts à accepter la fin de la démocratisation scolaire et du supérieur, mouvement entamé depuis les années 1950 ?

C’est un changement de nature de l’école qui est en cours.

Les perspectives si nous ne réagissons pas, avec les parents, les étudiants, les lycéens :

  • des diplômes payants
  • financés par l’endettement des jeunes et non plus par l’impôt et la solidarité nationale
  • ce qui créera des bulles spéculatives (cf les USA)
  • et augmentera fortement les inégalités de parcours scolaires et supérieurs, là où la massification et la gratuité les avaient fortement réduites (bien que de manière insuffisante). D’autant que plus l’orientation est précoce, plus elle est inégalitaire, ce qui est très bien connu depuis 30 ans.
  • tout cela entraînera une baisse des « externalités » positives, dans la société et l’économie, de la diffusion des connaissances permise par la hausse du niveau d’instruction. Les effets sont attendre sur les libertés, la santé, etc.

Il ne faut pas croire que ces réformes sont une fatalité. Elles ne sont pas justes. D’autres solutions existent, au-delà des seuls moyens (détournés au profit des entreprises via le crédit impôt recherche notamment). Nous devons nous convaincre de l’offensive idéologique qui a lieu et nous mettre en action sans délai.