Décentralisation : un paysage institutionnel en (fortes) évolutions

« Nous sommes dans des phases de réformes profondes. Avec la RéATE, il s’agit d’une réforme territoriale la plus importante depuis 200 ans », avait déclaré le peu regretté Georges Tron. Révision générale des politiques publiques (RGPP), réforme de l’administration territoriale de l’Etat (RéATE) et maintenant réforme des collectivités territoriales (CT) sont en train de modifier en profondeur références institutionnelles, interlocuteurs, niveaux de prise de décision… Modifications souvent insidieuses
mais rapides dont les organisations syndicales
ont encore du mal à prendre la mesure.

Sur fond de réduction des dépenses publiques, de RGPP appliquée y compris aux opérateurs de l’Etat comme Pôle-emploi ou Météo-France, la territorialisation des politiques publiques doit déjà s’accommoder d’une réduction sans précédent du nombre d’emplois dans la Fonction Publique : moins 150 000 sur la durée du quinquennat !

François Fillon avait annoncé la couleur dès 2007 : « La réforme de l’Etat supposera moins de services, moins de personnels, moins d’État sur son territoire ».

Depuis janvier 2010,
priorité à la déconcentration
et à l’interministériel

L’architecture de l’Etat a été profondément modifiée tant au niveau des départements que des régions. Il s’agit d’une concentration des pouvoirs sans précédent au profit des 22 préfectures de région, au détriment des 100 préfectures de département et de l’ensemble des services déconcentrés des différents ministères au niveau départemental. Les chaînes hiérarchiques sont ainsi repensées au niveau des représentants de l’Etat dans les territoires comme au niveau des ministères.

Les dégâts sont déjà patents, qu’il s’agisse des missions des préfectures, de la sécurité publique, de la Jeunesse et Éducation Populaire, de la sécurité sanitaire, de l’équipement et l’agriculture, de la culture ou de l’éducation nationale…

Des réformes lourdes ont dans le même temps modifié la donne dans les territoires : cartes judiciaire et pénitentiaire, lois militaire, hospitalière… touchant particulièrement les petites villes.

Moins d’un an plus tard,
la loi de réforme des collectivités territoriales…

Cette réforme controversée par nombre d’élus y compris de droite, est finalement imposée par le gouvernement en décembre 2010(1). Au delà des nouveaux « conseillers territoriaux » et des questions relatives aux finances et à la répartition des compétences, des modifications sensibles du paysage des collectivités territoriales sont inscrites dans la loi. On peut s’attendre à terme à des changements importants dans l’organisation des départements et des régions et dans les missions que les Collectivités territoriales exercent.
Le gouvernement ayant renoncé à supprimer un échelon territorial, la loi propose aux régions et aux départements, sur la base du volontariat, une procédure de regroupement qui n’existait pas pour les départements et assouplit la procédure existante pour les régions. Un département et deux régions contiguës pourront ainsi demander une modification des limites régionales pour inclure le département dans le territoire de la région limitrophe.

Regroupements
d’intercommunalités,
pôles métropolitains…

Les territoires vont changer, sans doute plus vite que ce qui était attendu, sans contrôle réel des citoyens ni même de beaucoup d’élus. Les préfets jouent un rôle majeur dans ces changements. Ils viennent ainsi, comme la loi de décembre 2010 le prévoyait, de présenter les nouveaux schémas de coopération intercommunale.

La chasse aux communes isolées est ouverte et les regroupements plus ou moins volontaires, règle imposée par le gouvernement. Dans de nombreux départements, la tendance est à des périmètres plus larges avec, parfois, des redécoupages assez impressionnants. Le nombre d’Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) serait fortement réduit. Les Hautes-Alpes par exemple pourraient passer de 20 à 7 communautés, la Dordogne de 53 à 24, la Gironde de 45 à 21… Après consultation, la décision finale reviendra aux préfets. Les nouveaux schémas seront arrêtés au plus tard le 31 décembre 2011.

En milieu urbain se dessine aussi une augmentation sensible de la taille des agglomérations. Il est ainsi question, dans le Vaucluse d’une agglomération Avignon-Orange (280 000 habitants contre 180 000 aujourd’hui dans le Grand Avignon), dans les Hautes-Alpes d’un « Grand-Gap » de 57 000 habitants, ou en Gironde de la transformation de la communauté urbaine de Bordeaux en une métropole de 780 000 habitants !

D’autre part, un certain nombre de projets de pôles métropolitains (300 000 habitants au minimum avec un EPCI d’au moins 150 000) sont en train d’avancer, autour de compétences « stratégiques » : développement économique, innovation et recherche, enseignement supérieur, aménagement du territoire (Lyon-Saint Etienne-Nord Isère ; Reims-Epernay-Châlons…).

Des modifications qui inquiètent notamment les petites communes qui y voient le risque d’une hausse des impôts et la crainte d’un délestage de certaines compétences intercommunales (comme le social) sur elles. L’Association des petites villes de France (APVF) craint que le poids politique des villes-centres soit considérablement dilué au sein du conseil communautaire, « alors qu’elles assument des charges de centralité ». La préoccupation des petites communautés de communes est aussi de savoir dans quelle mesure elles vont pouvoir garder leur capacité actuelle de gestion des services de proximité. Autre difficulté, les changements à l’oeuvre dans le contour des communautés se font alors que les élus ne disposent pas encore de vision précise de la situation financière consécutive à la suppression de la taxe professionnelle.

Recentralisation autoritaire
de l’état…

RéATE et réforme des Collectivités Territoriales traduisent une volonté gouvernementale de recentralisation autoritaire de l’Etat, pilotée essentiellement par l’objectif de réduction des dépenses publiques, d’où une réorganisation des échelons territoriaux et un contrôle des interventions dévolues ou transférées aux élus des collectivités territoriales. La réforme des collectivités a d’ailleurs été précédée d’une réforme fiscale. Paradoxalement, cette recentralisation vise un « moins d’Etat, moins de services publics » et va renforcer la mise en concurrence des territoires. Cette réforme va notamment accélérer l’urbanisation et aggraver le déséquilibre déjà perceptible entre ville et espace rural.

Cette limitation de l’intervention des collectivités territoriales irrite au plus haut point les tenants d’une décentralisation plus importante. On l’a vu avec les déclarations d’Alain Rousset, président de l’Association des régions de France (ARF) sur l’« acte III de la décentralisation » revendiquant le transfert de nouvelles compétences aux régions notamment dans le domaine de l’Education et de l’emploi. Le PS annonce qu’en cas d’alternance en 2012, la réforme des CT pourrait être abrogée. Sur la forme peut-être, notamment pour ce qui concerne les conseillers territoriaux, mais sur le fond de la réforme, on peut quand même douter d’un simple retour à la situation antérieure, au vu de la rapidité des transformations.

Le syndicalisme
face à ces évolutions…

Le syndicalisme, particulièrement dans la fonction Publique, s’est retrouvé assez impuissant à contrer les évolutions les plus néfastes des réformes territoriales à l’œuvre. Le rythme en a été rapide, violent, avec des conséquences sur les missions mais aussi les conditions de travail des personnels qui ont suscité mal-être et réactions, surtout sectorielles.
L’organisation de l’Etat, en se modifiant, modifie aussi les rapports entre interlocuteurs institutionnels et les niveaux d’intervention. C’est vrai des rouages gouvernementaux, avec des modifications du périmètre des ministères, de leur organisation interne. C’est vrai aussi de la mise en œuvre des nouvelles modalités de représentativité dans la Fonction Publique. Dans l’Education nationale par exemple, le choix imposé par le ministère de nouveaux Comités Techniques élus au niveau académique n’est pas étonnant quand on voit le renforcement des pouvoirs et attributions du Recteur. Autre élément éclairant, toujours dans l’Education nationale, les pressions actuelles autour de la mise en place d’« écoles du socle commun », articulant étroitement le fonctionnement des écoles avec un collège. Les EPEP avaient buté contre l’opposition des personnels mais aussi des maires soucieux de ne pas perdre leurs prérogatives au niveau des écoles. Avec le développement des intercommunalités, l’obstacle s’affaiblit de lui-même.

La structure des organisations syndicales, leur implantation territoriale est largement héritée d’une conception d’un Etat centralisé et pyramidal. Les premières conséquences de la décentralisation avaient certes déjà contraint à la prise en compte de nouveaux échelons, notamment régionaux. Seront-elles capables de faire face à la nouvelle donne territoriale ? ●

Isabelle Sargeni-Chetaud

1) Voir la revue n° 27 de janvier-février 2011, page 5.