Contribution aux débats du CDFN de la FSU de mai 2019

A quelques jours des élections européennes domine un fort sentiment de « déjà vu » : l’éparpillement sur l’échiquier politique (34 listes déposées) n’est pas un facteur de mobilisation des électeurs et électrices, ni de victoire des différentes formations ; LREM avance toujours l’épouvantail de l’extrême droite pour forcer un vote en sa faveur ; E. Macron se présente comme le seul rempart au « chaos » pour légitimer et poursuivre sa politique. Ses annonces récentes, qui flattent un électorat de plus en plus à droite, tentent de ratisser sur les terres du RN et de LR : il confirme une politique qui procède d’une guerre systématique menée contre la classe populaire.

L’Europe est traversée par de forts courants dits « populistes », et les pays qui ferment leurs frontières, mènent des politiques migratoires indignes, restreignent les droits des femmes et opèrent un repli nationaliste sont nombreux ; Autriche, Hongrie, Slovaquie, Bulgarie, Italie, … la liste des pays gouvernés par des partis nationalistes s’allonge de mois en mois. Le parti Vox en Espagne, surfant sur une radicalisation d’une partie de l’électorat du parti populaire, a fait son entrée au Parlement : alors que les sondages prédisaient des scores très forts, Vox n’a fait « que » 10% des voix. Pour un pays qui a subi récemment l’épreuve du fascisme, c’est cependant très inquiétant. C’est une tendance de fond, qui doit nous conduire à mener une lutte sans répit. Lutte contre la montée des idées d’extrême droite, lutte contre le confusionnisme qui peut en favoriser la banalisation, mais aussi lutte contre les politiques austéritaires anti-sociales des états qui font le lit de l’extrême droite. Les politiques libérales sont à combattre, elles ne sont en rien un rempart contre l’extrême droite mais portent au contraire toute la responsabilité de son ascension vers le pouvoir.

Inégalités sociales, le fossé se creuse

Les injustices environnementales et les injustices sociales se combinent, affectant de façon disproportionnée les groupes sociaux entre eux par leur mise en concurrence, la concentration des richesses, le commerce inéquitable. Parmi eux, un grand nombre de femmes subissent de multiples discriminations (violences et harcèlement, racisme et islamophobie, lesbophobie, obstacles dans l’accès à l’emploi, inégalités de salaires et de retraites, mises en danger liées à la situation de migration, âge, handicap, inégalités en milieu rural, précarité énergétique). La précarité touche un nombre toujours plus important d’entre elles. Cette situation entre en résonance avec le mouvement social des Gilets Jaunes au sein duquel les femmes sont très présentes. Progressivement, ce mouvement qui a démarré il y a maintenant 6 mois s’est imposé dans le débat politique et les médias. Ancré et déterminé, il a contraint le gouvernement à user de sa communication et à concéder quelques mesures. Mais la politique du gouvernement reste globalement identique et il ne change pas de cap : il ne lui reste plus que la force et la répression pour espérer museler ce mouvement toujours populaire, et continuer à imposer sa politique illégitime. A la suite du grand débat, les annonces du président ne régleront rien de la crise sociale actuelle, au contraire certaines risquent d’imposer des mesures régressives. La politique fiscale à l’égard des entreprises (40 Mds de CICE non remis en question) et des plus riches (pas de retour de l’ISF) reste inchangée ; la réindexation du montant des petites retraites sur l’inflation, obtenue par la mobilisation, n’est jamais qu’un retour à la normale injustement dégradée par E. Macron lui-même. Mesure de juste réparation qui prendra effet au 1er janvier 2020, sans entraîner d’ailleurs de rattrapage ! Quant aux annonces de revalorisation salariale, il faut là aussi attendre de voir quelle en sera la traduction effective (travailler « plus »?). Pour ce gouvernement, la justice fiscale se traduit par une baisse des impôts pour tous et toutes, et non une juste imposition des plus riches : les conséquences sont lourdes puisque cela diminue la redistribution et affaiblit donc les services publics (SP), facteurs d’égalité pour les classes populaires. En revanche, certaines annonces sont franchement inquiétantes : sous prétexte de répondre à la demande de davantage de SP de proximité, le gouvernement annonce la création de « maisons » de SP appelées « France service » dont on ne connaît ni la forme, ni le financement, ni les missions, ni le statut des personnels. Si ces maisons reprennent le modèle des maisons de service au public, elles pourraient être gérées par des associations, avec des financements multiples, et constitueraient une sorte de guichet dont les services varient selon le gestionnaire (la Poste, une municipalité, une association…) : il ne s’agit donc pas de SP. Par ailleurs, les propos que Macron a tenus sur « l’art d’être français » et son discours sur l’immigration sont inquiétants : ce gouvernement multiplie les propos et actes honteux qui dessinent une politique migratoire totalement déshumanisée. D’ailleurs, la France est dénoncée par un rapport de l’Unicef sur les conditions de rétention des migrant-es mineur-es ; fait impensable auparavant, une bénévole RESF est poursuivie en justice pour avoir inscrit dans un lycée un mineur isolé étranger ! Et Castaner, qui a osé accuser des ONG en charge d’assurer la sécurité des migrant-es de complicité avec des passeurs, s’est vu attribuer une carte « d’adhérent d’honneur » par Génération identitaire ! Le projet de loi sur la Fonction publique (FP), encore peu concret pour les usager-es, commence à être connu des personnels : l’unité d’action des organisations syndicales pour la grève du 9 mai a permis de porter à la connaissance des agent-es la gravité des mesures que le projet renferme. Ils-elles se sont mobilisé-es avant tout sur la question des CAP et des CHSCT, percevant bien une régression sans précédent des droits des personnels et de leurs conditions de travail. C’est aussi une attaque caractérisée contre les organisations syndicales, leur rôle et leurs missions. Il ne faut pas laisser faire. Dans la FP, les mobilisations existent en dehors de la journée du 9 : la grève menée durant plusieurs semaines à l’AP-HP (dans 5 hôpitaux) témoigne des conditions de travail extrêmement dégradées. Elle a permis d’obtenir quelques postes. La FP est dans le viseur de ce gouvernement qui a prévu de diminuer drastiquement les effectifs : s’il modère son ardeur (sans aucune garantie) au sujet des 120000 suppressions, il confirme vouloir retirer 70000 postes dans la FPT, il persiste dans ses déclarations sur le temps de travail des fonctionnaires, il multiplie les mesures qui visent à affaiblir les SP dans l’objectif de réduire la dépense publique. Les projets de privatisations vont dans ce sens : alors que la Cour des comptes a dénoncé un bilan accablant de la privatisation des autoroutes, celle des aéroports se poursuit. La privatisation de Toulouse-Blagnac a été annulée, mais pas celle des aéroports de Paris. Toutefois, interpellé par des parlementaires, le Conseil Constitutionnel vient de valider la possibilité de soumettre cette vente à un référendum d’initiative partagée si celui-ci est demandé par 4,7 millions de personnes. Mais d’autres privatisations devraient suivre : barrages hydroélectriques, Française des jeux… Dans l’éducation, les mobilisations se sont poursuivies sur le terrain durant toute la période des congés, signe de la détermination et de la colère des personnels ; la réforme du bac et des lycées a entraîné des réactions collectives (démission collective des professeur-es principaux, rétention des notes, lycées morts…) tandis que se développe dans le premier degré un mouvement profond de rejet de la politique Blanquer associant parents et enseignant-es. Les manifestations d’autoritarisme, pressions, voire sanctions n’empêchent pas personnels et parents de rester mobilisé-es contre cette loi, et le ministre, en fort recul dans les sondages, est contraint de tenter de se justifier. La mobilisation a obligé le président à inclure l’éducation dans ses annonces : il a parlé de la revalorisation enseignante et de la limitation des effectifs à 24 en GS, CP et CE1, paroles qui sans mesures budgétaires adéquates n’engagent à rien et n’auront pas d’effets. J.M Blanquer relie cette revalorisation à l’imposition d’une 2e heure supplémentaire pour les enseignant-es du second degré (entreprise de division, au passage, avec celles et ceux du 1er degré), mais il oublie de dire qu’il s’agit là d’une mesure d’allongement obligatoire du temps de travail, qui permettra l’économie de 26000 postes et de 470 millions d’euros ! Il faut dénoncer cette mesure et en exiger l’abandon ! Le passage de la loi au Sénat a donné lieu à de nombreux amendements : si le Sénat a supprimé la création des EPLESF, c’est dans l’attente d’une nouvelle rédaction de l’article qui redonnerait la main aux élu-es ; et d’autres propositions ne vont pas dans le bon sens non plus. Il faut poursuivre la mobilisation pour contraindre le ministre à retirer ce projet de loi.

Les chantiers en cours, les réformes à venir

Lundi 6 mai, une grand messe à Matignon a réuni les « corps intermédiaires » pour leur présenter la « feuille de route » de la mise en œuvre des mesures annoncées par le président. Outre la gravité des sujets (développement de l’apprentissage tous azimuts, mesures fiscales pour la transition écologique,…), aucune précision concrète n’a été apportée : sur l’urgence écologique, par exemple, comment entendre « l’urgence » quand on sait que ce gouvernement vient de repousser de 2020 à 2022 l’interdiction du glyphosate ? Pour l’instant, méthode inchangée, et qui lui permet de gagner du temps : le gouvernement installe de grands débats en régions jusqu’à l’été sur ces thématiques. Les attaques ont lieu en continu, la prochaine en date sera celle des retraites : forte décote en cas de départ avant l’âge pivot (reculé d’un an) et ce dès 2020, réforme systémique par points dès 2025… Ce projet régressif est à combattre : pour lui faire échec, quelle riposte unitaire allons-nous mettre en place ? Il faut analyser de façon lucide les difficultés du syndicalisme actuellement : le gouvernement prend appui sur la division syndicale pour affaiblir le syndicalisme revendicatif et le mettre sur la touche. S’il ne parvient pas à créer un rapport de force favorable, le mouvement syndical ne pourra pas faire échec aux régressions sociales en cours.

Urgence sociale

Le mouvement social des GJ n’a plus grand chose à voir avec ce qu’on en percevait en novembre dernier : leurs revendications sont sociales, proches des nôtres, souvent semblables. La posture n’est plus anti-syndicale comme elle a pu l’être initialement. Aujourd’hui, de nombreuses expériences font état en régions de jonctions réussies entre le mouvement syndical et celui des GJ, et le 1er mai à cet égard a représenté un saut qualitatif. Deux tribunes ont été très médiatisées, l’une à l’initiative d’enseignant-es / chercheur-es (Nous accusons), l’autre de personnalités du spectacle (Nous ne sommes pas dupes) pour marquer d’une part l’intérêt de l’action du mouvement des GJ pour les conquêtes sociales, et d’autre part la dénonciation de la répression qui s’abat sur lui pour tenter de le museler. Dans le même temps, plus de 350 journalistes ont aussi dénoncé dans une tribune parue dans le Monde et sur France info, une « volonté délibérée de nous empêcher de travailler » de la part des forces de l’ordre depuis le début du mouvement social des GJ. C’est bien de la responsabilité du gouvernement qu’il s’agit aujourd’hui : responsabilité par la politique de guerre sociale qu’il mène depuis deux ans, par la surdité dont il fait preuve à l’égard des revendications exprimées ; responsabilité par une stratégie de maintien de l’ordre qui vise la tension et l’affrontement. Il n’est pas anodin que le préfet Lallement, qui s’était déjà illustré à Bordeaux par sa gestion des manifestations par la violence, comme le dénonce l’Observatoire Girondin des Libertés Publiques, ait été nommé préfet de Police de Paris. Les participant-es à la manifestation francilienne du 1er mai en ont fait les frais ! Nous avons à faire face à un pouvoir de plus en plus autoritaire, qui use de violences policières au bilan humain très lourd, qui multiplie les mesures de répression, qui n’hésite pas à recourir aux mensonges d’état (notamment à Nice, au sujet de la manifestante d’Attac, et ensuite l’épisode de la Pitié Salpêtrière : scandaleux !) ; l’arrestation d’une brutalité inouïe d’Olivier Sillam la semaine dernière, les faits qui lui sont reprochés, les poursuites à son encontre sont du même acabit, ils témoignent d’une volonté de mettre au pas les militant-es et de faire taire la contestation. La FSU a dénoncé cette interpellation ; il faut continuer à condamner la répression envers tous ceux et toutes celles qui s’opposent à ce pouvoir et assurer la défense de notre camarade militant syndical. Face à ce gouvernement, il faut faire front et rassembler pour constituer un rapport de force efficace, il faut aussi interroger notre stratégie de lutte (rythme, modalités) sans rien exclure, entraîner les personnels et les engager à se mobiliser, faire campagne auprès des usager-es pour gagner l’opinion publique. Privilégier la convergence avec toutes les forces progressistes qui s’opposent au libéralisme est indispensable : la FSU doit chercher, avec nos partenaires du syndicalisme de transformation sociale et ceux qui le veulent à faire converger les mobilisations syndicales et sociales pour parvenir à généraliser l’opposition à la politique de ce gouvernement.

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