Claude Gautheron : pas de rupture sans concrétisation du tous capables

Depuis le congrès de Saint-Malo, les réformes que nous tentions de caractériser avec difficulté ont été appliquées. Nous devons maintenant en faire le bilan à l’aune des espoirs qu’elles auraient pu faire naître mais surtout de leurs effets dans les écoles. Si à Saint-Malo le SNUipp pouvait encore hésiter voire se déchirer à propos de la réforme des rythmes, nous n’en sommes heureusement plus là. Réforme inefficace, inégalitaire, déstructurante et j’en passe. Une question demeure : pourquoi autant d’acharnement de la part du ministère à poursuivre une réforme dont les effets sont aussi délétères ? Une réforme aussi massivement rejetée ? Certainement parce que les véritables enjeux ne sont pas là où nous les cherchions. Cette réforme restera comme celle qui dédouane l’état de ses responsabilités et qui confie aux collectivités territoriales une clé supplémentaire de la maison éducation et qui renforce les inégalités entre les populations selon qu’elles occupent un territoire ou un autre.

En terme de détournement de sens d’autres aspects de la politique éducative sont aussi concernés. Que dire d’une bienveillance qui apparaît comme un adoucissement de peine, dont les enseignants voudront bien sûr se charger, pour des élèves scolarisés dans des conditions qui ne se sont pas améliorées au cours de ce quinquennat : classes surchargées (7000 classes à plus de trente en maternelle), enseignant-es non remplacés, mal formé-es, croulant sous des tâches autres que celles auxquelles il est urgent de se consacrer. Les 60000 postes promis ne seront pas au rendez-vous et quand bien même ils le seraient, la hausse démographique ne permettrait pas aux enseignants de travailler mieux ou autrement. Le prétendu retour de la formation initiale avec concours en fin de M1 s’est traduit par une dégradation des conditions de formation pour les étudiants et les stagiaires et de travail pour les formateurs-trices. Et l’inclusion ? Ou comment obéir à un principe juste mais en s’exonérant de toute réflexion sur la faisabilité, en déstabilisant les classes ordinaires et en affaiblissant le tissu de dispositifs et d’établissement spécialisés.

Que du négatif me direz-vous ? Bien sûr il y a les programmes qui eux marquent une évolution positive par rapport à ceux de 2008, bien sûr il y a l’éducation prioritaire qui a vu ses moyens augmenter mais, quand même, pas au point de la rendre attractive pour nos collègues ou d’assurer la continuité du service public pour les élèves. Mais les programmes de 2002 qui étaient de bons programmes avaient-ils suffi à inverser la spirale négative pour l’école ? Non parce qu’on sait tous ici que l’avenir de l’école ne repose pas uniquement sur les contenus d’apprentissage ni sur l’affichage de bonnes intentions. Et il ne s’agit pas non plus seulement d’une question de moyens qui ne seraient pas à la hauteur et qui laisseraient espérer des jours meilleurs.

Les grands enjeux sont d’une autre nature et surtout d’une nature éminemment politique. C’est pourquoi la seule vraie question que doit se poser le SNUipp pour l’école est celle de la démocratisation : transformer l’école, c’est changer de paradigme, c’est ne plus se laisser imposer une norme scolaire avec comme seule référence les enfants issus des classes économiquement ou culturellement favorisées. Transformer l’école c’est prendre au sérieux le rapport aux savoirs des enfants des classes populaires, c’est prendre au sérieux leur réussite scolaire. C’est ne pas accepter le recours à d’hypothétiques talents, chez les élèves comme chez les enseignant-es, pour justifier les inégalités, c’est se donner les moyens d’enseigner et d’apprendre autrement. Rupture, disons-nous? Non il n’y aura pas de rupture tant que le tous et toutes capables ne se concrétisera pas en un tous et toutes éduqué-es, émancipé-es et libres de faire des choix qu’ils soient personnels, professionnels ou citoyens.