« Le gouvernement poursuit un objectif de finances publiques »

Article de la Revue de l’école émancipée n°98 (novembre-décembre 2022)

Une interview de Michaël Zemmour, économiste à l’université paris panthéon sorbonnePropos recueillis par Arnaud Malaisé

« Les vraies questions posées par le rapport du COR ne sont pas celles du déficit mais de la baisse programmée du niveau des pensions à l’horizon de 15 ans pour laquelle il faudrait mettre des moyens supplémentaires. »


Comment lisez-vous le rapport du COR paru en septembre ? Oblige-t-il à une réforme ?

Le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) comporte des petites imprécisions méthodologiques liées aux projections du gouvernement mais globalement, il dit la même chose que les précédents.

Tout d’abord, les dépenses de retraites dans l’économie sont stabilisées et même orientées à la baisse alors que le nombre de retraité·es va augmenter ces prochaines années. En effet, les réformes précédentes des retraites ont eu pour effet de raccourcir la durée de la retraite et de baisser le niveau des pensions par rapport aux salaires.

Ensuite, le système n’est pas du tout en danger financier. Il n’y a pas de risque. Et si un déficit venait à apparaître, il serait dû non pas à une hausse des dépenses mais à un désengagement progressif de l’État. Ce dernier souhaite mettre en œuvre son désengagement à partir de la baisse du nombre de fonctionnaires qui va diminuer le montant des pensions versées. Il souhaiterait donc profiter de cette occasion pour également diminuer sa contribution générale au système de retraites.

Comment se traduirait concrètement ce désengagement de l’État ?

L’État contribue au système de retraites à plusieurs titres. Il paye les pensions de ses propres retraité·es et verse des subventions d’équilibre à un certain nombre de régimes. Il serait envisageable également qu’il verse des subventions à l’ensemble des régimes par solidarité. Ces derniers mettent déjà en œuvre de leur côté une forme de solidarité avec par exemple le régime général qui finance le minimum vieillesse. Ce soutien de l’État aux autres régimes a toujours existé, pour des raisons démographiques mais pas seulement.

Le déficit projeté par le COR se place dans l’hypothèse où l’État baisserait ainsi ses dépenses de retraites et où le privé garderait son taux de cotisation. C’est-à-dire que si on maintenait globalement au niveau national le même niveau de recettes qu’actuellement, ce déficit annoncé n’adviendrait pas.

Par quels moyens pourrait-on résorber, voire empêcher, ce déficit ?

Si ce déficit envisagé survenait, il serait quasiment de l’épaisseur du trait. De quoi le tolérer pendant plusieurs années et le rembourser plus tard sans problèmes. Mais on pourrait surtout chercher à le réduire par différents moyens : une hausse des cotisations, une baisse des pensions ou des mesures d’âge ou de durée de cotisation. Parmi ces trois leviers, la hausse des cotisations nécessaire pour le réduire serait très faible, de l’ordre de 0,15 point par an pendant 5 ans, à répartir entre employé·es et employeur·euses. C’est-à-dire deux fois moindre et pendant deux fois moins longtemps que les hausses de cotisations dans la fonction publique de 2010 à 2020. On pourrait également réduire les exemptions de cotisations. Par exemple dans le privé, 9 % de la masse salariale (l’épargne salariale, la prime Macron…) ne génèrent pas de cotisations pour les retraites. Ce sont des revenus qui ne créent pas de droits pour les salarié·es, ni de recettes pour la protection sociale.

Par contre, actionner le levier des mesures d’âge ou de durée de cotisation serait clairement le moyen le plus brutal en concentrant les économies sur les personnes proches de la retraite.

Les vraies questions posées par le rapport du COR ne sont pas celles du déficit mais de la baisse programmée du niveau des pensions à l’horizon de 15 ans pour laquelle il faudrait mettre des moyens supplémentaires.

Justement, pour financer des mesures permettant d’améliorer le niveau des pensions et de s’attaquer aux inégalités, quels seraient les leviers supplémentaires ?

Trois gros enjeux se posent au système de retraites : résoudre les inégalités actuelles, empêcher la dégradation du niveau des pensions et revenir éventuellement à un âge de départ autorisé plus précoce. Pourtant, ce qui est frappant c’est le paradoxe entre des retraité·es de plus en plus nombreux·euses et la mise en sommeil depuis quasiment 20 ans du levier des nouvelles recettes. Or la retraite étant une assurance sociale, lorsque le « risque » est plus élevé avec une plus grande partie de la population devenant retraitée, il semble assez logique d’augmenter le financement de ce risque et donc les taux de cotisations. C’est ce qui apparaît le plus « naturel » dans le système actuel où la première ressource est celle des cotisations. L’augmentation progressive de leur taux, employeur et salarié, n’aurait pas pour effet une baisse des salaires mais permettrait de répartir les gains de productivité entre actif·ves et retraité·es.

D’autres propositions existent dans le débat public, comme celle de taxer davantage les profits, ou d’élargir l’assiette des cotisations, mais ne sont pas des modes de financement traditionnels du système de retraites. À cadre constant, les retraites étant une répartition du salaire, il semble assez logique d’utiliser l’outil des cotisations pour les financer. Mais il est possible également de considérer que les retraites sont finalement une dépense publique comme une autre et imaginer d’autres formes de financement. Ce sont des questions de choix politiques.

Le déficit prévu étant minime et même largement évitable, quel est donc le but poursuivi par le gouvernement avec cette réforme ?

Il est assez clair que le projet de réforme du gouvernement ne provient pas d’un diagnostic sur le système des retraites car sinon de nombreuses problématiques seraient actuellement en discussion comme les inégalités femmes/hommes, les poly pensionnés… Les objectifs poursuivis sont de deux ordres.

Tout d’abord, un objectif de finances publiques. Le gouvernement cherche à baisser les dépenses publiques pour équilibrer la baisse des prélèvements obligatoires, et en particulier les impôts de production sur les grandes entreprises. Et comme, en poursuivant la politique des gouvernements précédents, il a déjà réalisé beaucoup d’économies sur la masse salariale de la fonction publique, il entend mobiliser un second moyen en diminuant les dépenses de retraites et en particulier celles de l’État. Cet objectif de finance publique n’a donc pas grand-chose à voir avec les retraites…

Ensuite, ce projet de décalage de l’âge de la retraite s’inscrit dans une politique de marché du travail, tout comme la réforme de l’assurance chômage, où il s’agit de mettre davantage de personnes en situation de recherche d’emploi. Cela permettrait d’accroître la concurrence sur le marché du travail, augmenterait le chômage et restreindrait les possibilités d’avoir des revendications salariales.

Emmanuel Macron met en avant le minimum de pension à 1100 euros, quels impacts aurait cette réforme sur les inégalités existantes ?

La réforme envisagée par le gouvernement n’est pas centrée sur la résorption des inégalités. Au contraire, elle aggraverait la situation de certaines femmes, en diminuant les majorations de pensions pour enfants en cas de recul de l’âge ou en augmentant les effets de la décote en cas de hausse de la durée de cotisation.

Et sur le minimum de pension à 1100 euros, il faut lire les petits caractères autour du slogan. Déjà, viserait-il tous les retraité·es ou serait-il limité aux nouveaux·elles ? De toute façon, ce minimum ne concernerait que les carrières complètes, déjà très proches des 1100 euros. Cela laisserait de côté le véritable problème actuel avec plus de 30 % des retraité·es, et même 50 % des femmes, ayant des pensions inférieures à 1000 euros. La plupart d’entre elles et eux, ayant des carrières incomplètes, elles et ils ne seraient pas concerné·es. Pourtant, très simplement, afin d’améliorer immédiatement leur situation, il suffirait d’activer les minima de pension et de vieillesse dès l’âge de la retraite, au lieu des 65 ou 67 ans requis actuellement, tout en les individualisant car ils sont aujourd’hui « familialisés ». aQuelles seraient les conséquences concrètes du décalage de l’âge de départ à la retraite, en plus de la situation des femmes pour qui la majoration de trimestres serait diminuée ?

Une partie des personnes resterait en emploi deux années supplémentaires, ce que les salarié·es ne souhaitent pas, le travail étant dur et la retraite protégeant d’une dégradation de la santé. Et pour toute une autre partie de la population, en particulier les ouvrières et les ouvriers, cela se traduirait surtout par un allongement de la période entre l’emploi et la retraite, une période déjà relativement longue actuellement. En effet, près de 4 personnes sur 10 ne sont pas en emploi au moment de prendre leur retraite, elles sont au chômage, au RSA, en invalidité, en congé maladie… Le passage de 60 à 62 ans a déjà prolongé d’autant cette situation pour nombre d’ouvrières et d’ouvriers. Cette réforme entraînerait une précarisation des seniors qui sont déjà en dehors de l’emploi à 62 ans. ●