Une « Loi travail » pour la Fonction Publique

Promulguée en août 2019, la loi de transformation de la Fonction publique concerne 5,5 millions d’agent.es. Elle s’attaque au principe même du service public et est une nouvelle étape dans le démantèlement de l’état social issu de l’après-guerre.

Cette loi est la résultante des quatre chantiers ouverts depuis 2018 dans la Fonction publique et reprend les problématiques de l’accord égalité professionnelle femmes/hommes adopté fin novembre 2018. L’exécutif et le Parlement ont participé chacun au minutieux travail de sape, avec force amendements, pour aboutir à un texte de 95 articles détricotant minutieusement le statut et les fondations de la Fonction publique. Ainsi, concernant le recours au contrat, l’Assemblée Nationale a étendu le recrutement de contractuel.les aux emplois permanents dans la FPE et la FPT (article 15), le Sénat a étendu ce recrutement par contrat à tous les emplois (article 21).

Si 30% de ces dispositions sont d’ores et déjà applicables, d’autres, telles la refonte des instances de représentation des personnels (CAP, CT – articles 1, 4 et 10) et la suppression de la commission de déontologie (article 34) doivent faire l’objet d’une cinquantaine de décrets d’application. Le gouvernement légiférera, début 2020, par ordonnances, dans des domaines importants : les modalités de recrutement en catégorie A, la formation des agents publics, les règles de négociation dans la Fonction publique, la protection sociale, la santé au travail, la gestion de l’inaptitude, etc. Ce n’est qu’une fois l’ensemble de ces textes adoptés qu’il sera possible de mesurer l’ampleur des destructions pour la Fonction publique, les services publics et les personnels.

Vieilles recettes et ruptures historiques 
 
Le recours au contrat comme une des voies ordinaires de recrutement confirme une contractualisation engagée depuis longtemps dans la Fonction publique, avec la création d’un CDI. Aujourd’hui, un agent sur cinq est contractuel. La moitié des recrutements se font en CDD ou en CDI, et un peu plus d’un quart par le biais des emplois aidés, selon l’INSEE. Le recrutement par concours a, lui, été divisé par deux entre 2002 et 2013. Le gouvernement ne fait qu’appliquer de vieilles recettes. Cette loi aurait donc une fonction d’affichage, pour accréditer l’idée du grand bouleversement promis par le candidat E.Macron, sans modifier profondément la tendance en cours.

En généralisant le recours aux contractuel.les, en éliminant le contrôle syndical et collectif sur les mutations, promotions ou avancement, en préparant le départ de nombreux fonctionnaires individuellement ou en bloc, le gouvernement fait régresser les droits des fonctionnaires en deçà des acquis de la Libération. L’intérêt général, dont le statut est également le garant, est remis en question avec le recours au contrat, concurrent du concours. Ce retour du clientélisme et de l’arbitraire dans le recrutement, notamment dans les emplois de direction, fait peser le risque de conflits entre les intérêts publics et privés.

En écho à la réforme du Code du travail dans le privé, cette « loi travail » de la Fonction publique va permettre la poursuite des choix budgétaires de réduction de la dépense publique. L’extension de l’expérimentation des ruptures conventionnelles individuelles de fonctionnaires sous statut portée par l’exécutif (article 72), le recrutement sur contrat de projet (proposition AN article 17), la dégradation du dispositif de prise en charge des fonctionnaires momentanément privés d’emploi (proposition Sénat article 78), la création d’un détachement d’office dans le privé pour les fonctionnaires dont les missions ou services sont externalisés (article 76), ainsi que la suppression des compétences des CAP sur les mobilités, toutes ces dispositions font système pour permettre d’accompagner les suppressions de postes, la privatisation et la marchandisation des services et missions des services publics.

Faire la peau aux « nantis » …et aux organisations syndicales !

Le gouvernement, dénonçant des avantages indus bénéficiant aux fonctionnaires (emploi à vie…) comme autant de ruptures d’égalité avec les salarié.es du privé, veut mettre au pas les personnels (encadrement de l’exercice du droit de grève dans la FPT – proposition Sénat article 56). Toutes ces mesures ont un objectif clair : casser les repères collectifs, en finir avec l’influence syndicale dans la Fonction publique en retirant aux organisations syndicales tout pouvoir d’intervention et de contrôle dans les opérations de carrière des agent.es. Ce ne sera pas sans incidences sur le rôle et le devenir de ce syndicalisme.

Cette loi fait l’unanimité des organisations syndicales contre elle, sans que celles-ci aient été en capacité de peser sur le gouvernement. Il est plus que nécessaire que, lors des discussions sur les textes d’application, les organisations syndicales engagent résolument une campagne d’opinion et construisent, avec les personnels, le rapport de force. C’est bien à un enjeu majeur de société auquel nous sommes confronté.es.

Denis THOMAS