Blanquer est sans conteste un homme de droite : il a sévi avec zèle sous la mandature de Sarkozy et il contribue à populariser l’idéologie du très libéral Institut Montaigne… Sa vision de l’école est cependant difficile à décrypter au premier coup d’oeil : dans ses discours, il donne des gages aux tenants d’une école conservatrice (apprendre les fables de la Fontaine…) et à ceux d’une école démocratisante (dédoublement des CP en REP+) ; il distille des mesures à chaque niveau d’enseignement (CP, collège, et réforme du bac), sans cohérence apparente… Et pourtant, son projet est bien global, et il opérera, s’il se met en place, des transformations profondes de notre société : c’est le projet d’une école sélective qui tourne résolument le dos à la démocratisation, et dont les classes populaires seront les grands perdants.
Blanquer adopte une stratégie efficace pour imposer son projet. A peine nommé, il impose ses mesures en rafale : réforme des rythmes, dédoublement des CP, suppression partielle des PDMQDC, assouplissement de la réforme du collège… Cette précipitation laisse les personnels sidérés et les parents interloqués. L’effet de surprise neutralise toute réaction, Blanquer délivre un message de « confiance » qui contribue à brouiller les cartes. Pourtant, derrière un habillage scientifique (qui se cantonne aux neurosciences, en niant tous les autres apports de la recherche, notamment sociologique, il déroule en fait un projet profondément idéologique, où tout s’emboîte parfaitement, à partir de trois pivots essentiels : l’individualisation, la sélection et l’autonomie.
L’individualisation permet un traitement différent des élèves, au sein d’une structure identique : à l’école primaire, par exemple, certains seront dans un CP dédoublé, la plupart des élèves subira la disparition de dispositifs qui profitaient à tous… Les réponses de Blanquer à la difficulté scolaire sont situés hors la classe, lors de stages de remise à niveau, ou avec le médiatique « devoirs faits ». L’approche individualisante permet au ministre de faire porter la responsabilité de la non réussite des élèves à certains, sans même avoir tenté d’améliorer l’ensemble du système éducatif.
Le pendant de l’individualisation est évidemment la sélection : Blanquer fustige toute idée d’égalitarisme, s’en remet aux talents des élèves, ou à leur mérite. Et prévoit de les trier sur le volet ! La sélection s’opère très tôt, signe le glas du collège unique (promotion de l’alternance et de l’apprentissage), la fin du bac comme diplôme national et de la possibilité de poursuite d’études pour l’ensemble des bacheliers. Il s’agit d’une réorientation majeure de notre école, d’un renoncement à l’élévation générale des qualifications et par conséquent, d’un projet de société qui tourne le dos à l’ambition pour notre jeunesse…
Pour permettre un tel système éducatif, Blanquer compte le« libérer » de ce qui fonde le service public, notamment l’égalité de traitement des agents et des usagers. Pour ce faire, l’autonomie est maître mot : elle permet la déréglementation (des contenus enseignés, comme au collège), elle implique le pilotage par les résultats (évaluations, en CP et 6ème) qui contribuera à la soumission des personnels, déjà malmenés par la charge de travail et les prescriptions en tout genre, et qui, surtout, implique la mise en concurrence généralisée ; l’autonomie isole, rend la résistance compliquée, empêche parfois la réponse syndicale…
L’école que Blanquer met en place n’est pas tout à fait nouvelle : qu’on se souvienne du rapport Thélot (2005), pour ne citer qu’un exemple… Il faut aussi déplorer les récentes transformations de l’école que la loi de refondation n’a pas (ou presque pas) empêchées : malgré un discours généreux (« tous capables »), le gouvernement Hollande n’a pas eu la volonté politique de réellement refonder l’école, et il a fourni à Blanquer les outils (l’autonomie), le cadre (territorial, et non plus national) qui lui permettent de mettre en œuvre son projet. Blanquer adopte de surcroît une stratégie fine : pour imposer ce projet pourtant global, il fragmente les attaques ; pour neutraliser toute résistance, il dépossède les enseignants du pouvoir d’agir, les met sous tutelle et sous pression…
Analyser ces politiques éducatives et déjouer les mauvais coups en préparation imposent d’avoir une vision transversale des mesures à cette rentrée : ce dossier s’applique donc à dresser un panorama des attaques et à les décrypter, niveau par niveau (à l’exception du supérieur qui est impacté lui aussi et que nous évoquons tout de même dans l’article sur le lycée). Il est nécessaire de faire le lien, auprès de nos collègues, entre toutes ces mesures pour en montrer la cohérence. Il est indispensable, très vite, de mobiliser la profession et de mettre en place une action pour sauver le service public d’éducation.
[/Adrien Martinez – Veronique Ponvert/]