Le dernier FSM s’est tenu fin mars à Tunis. S’il a été un moment fort de convergences des mouvements sociaux, avec une participation importante de jeunes, la dynamique n’était pas comparable à celle qui avait présidé lors de l’édition précédente, au lendemain de la révolution tunisienne.
La situation propre de la Tunisie est à prendre en compte, la situation mondiale pose également de nouvelles questions aux mouvements.
La situation mondiale pèse sur le Forum. Il y a évidemment une grande différence entre les premiers Forums, au début des années 2000 et ceux de la période actuelle.
Seattle, en 1999, marque l’émergence des mouvements sur la scène internationale. Elle suit la période des grandes manifestations contre les institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, OMC).
Les Forums sociaux contestent l’ordre dominant du monde qui se donne à voir à Davos, l’alliance entre les banques et les grandes entreprises multinationales d’une part, les Etats et les institutions internationales de l’autre. Depuis Seattle, la convergence des mouvements, en pesant sur les contradictions entre les Etats, a remis en cause l’institutionnalisation de la mondialisation néolibérale dont l’OMC était alors une des formes avancées.
Dans certaines régions, et particulièrement en Amérique Latine, des prolongements politiques se sont inspirés des mouvements.
Le débat central des FSM est porté par la montée des mouvements sociaux et citoyens. À partir du rejet du néolibéralisme, il ouvre la discussion sur le dépassement du capitalisme.
La crise financière de 2008 confirme les hypothèses altermondialistes et nécessite de les réactualiser. Les propositions immédiates, discutées dans les forums sociaux, s’imposent comme des issues possibles après la crise de 2008.
Par exemple : la suppression des paradis fiscaux et judiciaires ; la taxe sur les transactions financières ; la séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires ; la socialisation du secteur financier ; l’interdiction des marchés financiers dérivés ; les redistributions de revenus ; la protection sociale universelle ; etc.
Ces propositions ne sont pas révolutionnaires en elle-même. Elles sont reprises aujourd’hui par des économistes de “l’establishement” et même par certains gouvernements.
Mais ces déclarations ne sont pas suivies d’effet car elles nécessitent une rupture avec le dogme néolibéral et la dictature des marchés financiers.
Et ce sont toujours ces forces qui sont dominantes et qui n’accepteront pas, sans affrontements, de renoncer à leurs gigantesques privilèges. Une des conséquences paradoxale est que les propositions issues des FSM sont banalisées et perdent de leur acuité.
Depuis 2011, des mouvements massifs, quasi insurrectionnels, témoignent de l’exaspération des peuples. Ces révoltes ont un soubassement commun dans la compréhension de ce qu’est la crise structurelle officiellement admise depuis 2008.
Les nouveaux mouvements sociaux ont leur dynamique propre. Les jonctions avec les mouvements plus anciens de l’altermondialisme existent mais elles sont diffuses.
D’autant qu’aucun des deux ensembles n’est homogène et qu’ils n’ont, ni l’un, ni l’autre, de formes de représentation permettant la formalisation des discussions.
Ce cycle de luttes correspond à une nouvelle phase du mouvement altermondialiste. Elle le prolonge et le renouvelle. Elle oblige le mouvement à se transformer.
A partir de 2013, la situation semble s’être retournée. Les politiques dominantes, d’austérité et d’ajustement structurel, sont réaffirmées.
L’arrogance néolibérale reprend le dessus. La déstabilisation, les guerres, les répressions violentes et l’instrumentalisation du terrorisme s’imposent dans toutes les régions.
Des courants idéologiques réactionnaires et des populismes d’extrême-droite sont de plus en plus actifs. Ils prennent des formes spécifiques comme le néo-conservatisme libertarien aux Etats-Unis, les extrêmes-droites européennes, l’extrémisme jihadiste, les dictatures et les monarchies pétrolières…
Le FSM 2015 a été marqué par cette situation mondiale, il a été plus orienté sur les résistances. Les mouvements sociaux et citoyens ont affirmé que la nécessité des résistances n’annule pas l’importance des alternatives. Les contradictions du système sont considérables et contribuent à son durcissement ; toutes les possibilités restent ouvertes.
Et les mouvements sont conscients de l’urgence de définir des orientations stratégiques. ●
GUS MASSIAH,
membre du conseil international du FSM.