«Au train ou vont les choses, le monde [de la fin de siècle] sera plus chaud de 4°C et sera marqué par des vagues de chaleur extrême, un déclin des réserves mondiales de nourriture, la perte d’écosystèmes, l’appauvrissement de la biodiversité et une hausse du niveau de la mer qui mettra des vies en danger. De plus, il n’existe aucune certitude que l’adaptation à un monde plus chaud de 4°C soit possible. » Ainsi s’exprime, non une ONG environnementale, mais bien la Banque Mondiale, signe de la prise de conscience des risques liés à la poursuite des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il est révélateur d’une compréhension du problème plus général : l’ensemble des institutions internationales, voire des gouvernements, y compris parmi les plus pollueurs de la planète, conviennent aujourd’hui de la dynamique du dérèglement climatique, et des conséquences déjà à l’œuvre, notamment au Sud.
De nouveaux profits sur le dos des peuples
Naomie Klein, dans son dernier ouvrage(1), décrit ces bouleversements à l’œuvre, qui ne manqueront pas de structurer les confrontations sociales du 21e siècle. Et les premiers à intégrer ce changement de paradigme se trouvent du côté du capital, non évidemment pour « changer le système », mais pour anticiper de nouvelles sources de profits.
Les marchés financiers ont déjà goûté aux merveilles qui s’offrent à eux en favorisant la création de produits financiers, les dérivés climatiques, qui permettent de spéculer sur des épisodes météorologiques : de 2005 à 2006, ce marché des dérivés a ainsi vu sa valeur quintupler. Opportunités anticipées également dans les secteurs de l’armement et de la « sécurité ». Ainsi, Naomie Klein révèle comment Raytheon, entreprise US d’armement, mise pour les prochaines années sur une croissance de la « demande en produits et services militaires, car des problèmes de sécurité pourraient se multiplier en raison des sécheresses, des inondations et des tempêtes provoquées par le changement climatique ». Il ne s’agit pas de régler le « problème », mais de savoir bénéficier du chaos à venir.
D’autant que la baisse, sur une longue période, de la rentabilité du capital attisent les appétits. L’heure est à l’accélération des processus de dépossession. Le traitement de choc imposé à la Grèce en offre un laboratoire : l’accaparement des droits sociaux s’accompagne d’une extension du règne de la marchandise sur la nature, par les privatisations de plages et d’îles, sources de nouvelles accumulations primitives. L’extension de la pauvreté conduit, quant à elle, les ménages à développer des solutions alternatives au chauffage au fioul, via le chauffage au bois, provoquant une augmentation préoccupante du taux de pollution de l’air, signe que « la décroissance forcée n’est pas forcément écologique »(2).
Accaparement de la nature, dépossession des droits sociaux, bien souvent poursuite (voire amplification avec les gaz de schiste) de la logique extractiviste sous prétexte de relance, financiarisation des risques afférents aux conséquences du dérèglement climatique, avec perspectives de nouveaux marchés créés par la crise écologique (accessibles à celles et ceux qui auront les moyens de s’assurer un minimum d’adaptation) : le capital a, contrairement à notre planète, des ressorts inépuisables.
Construire le mouvement
pour la justice climatique
La bataille climatique semble donc voir sa ligne de front se déplacer. Les motifs de l’affrontement ne portent plus sur la réalité du phénomène, mais sur la nature des réponses à y apporter. Le dérèglement climatique ouvre le champ des possibles : « Tout peut changer » titre Naomie Klein. Mais pour dépasser l’ordre du possible et construire un probable « changement de système », l’émergence d’un nouvel acteur social est nécessaire. Celui-ci doit être le « catalyseur d’un ensemble de transformations sociales, politiques et économiques », et permettre ainsi, poursuit Naomi Klein, de « nous servir collectivement de cette crise, […] faire le grand saut et bâtir un monde autrement plus accueillant que celui d’aujourd’hui ».
Ce mouvement ne fera pas l’économie de donner un contenu au principe revendiqué de « justice ». C’est la condition pour permettre l’alliance de ceux et celles qui luttent pour la satisfaction des besoins de l’humanité, contre les dégâts sociaux de l’austérité, et l’urgente préservation de la planète. C’est, par conséquent, un projet contradictoire avec le capitalisme et un modèle productiviste(3). Car « pour éviter l’effondrement, le climat commande une diminution de l’utilisation des ressources par l’humanité ; pour éviter l’effondrement, le système économique [commande lui] une croissance sans entrave. » La croissance économique basée sur l’extraction des énergies fossiles met en danger la planète. Il faut choisir. Or « Il n’est possible de changer qu’un seul de ces ensembles de règles, et ce n’est pas celui des lois de la nature. » C’est le système qu’il faut changer, pas le climat !
Un défi pour le syndicalisme du 21e siècle
Le mouvement syndical est culturellement façonné par les revendications d’amélioration des conditions de vie et de travail des salarié-es, revendications focalisées, à juste titre, sur le partage de la richesse produite, « le partage des fruits de la croissance ». Mais, ce combat pour la justice sociale s’est très peu intéressé au contenu de cette croissance, en sous-estimant même souvent les conséquences pour la planète. Si le mouvement syndical a tendance à s’emparer ces dernières années des enjeux environnementaux, l’articulation « quotidienne » entre revendications sociales et préoccupations écologiques reste à construire.
Cela passera par des réponses immédiates (la création massive d’emplois climatiques de qualité, une protection des salarié-es dans la phase de transition, une planification sociale et juste des efforts pour la transition, etc…). Revendications adossées à un projet de transformation sociale au long cours, permettant de donner perspectives et cohérence, inscrivant l’horizon d’un modèle de production sobre aux services des besoins sociaux. ●
Julien Rivoire
1) Naomie Klein, Tout peut changer, capitalisme et changement climatique, Ed. Actes Sud.
2) Austérité et destruction de la nature : l’exemple grec.
Entretien avec Roxanne Mitralias. www.contretemps.eu
3) Stéphane Lavignotte, La décroissance est elle souhaitable ?, Paris, Textuel, 2010.