L’austérité budgétaire dont souffrent l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) n’est pas qu’une conséquence malheureuse d’une politique de réduction des moyens de l’État, elle est aussi un instrument puissant pour piloter les activités du milieu, et l’amener à réclamer un changement de modèle de son financement.
« L es années d’hiver », imposées aux services publics depuis si longtemps déjà s’aiguisent, et redoublent de rigueur dans l’ESR, lequel a toujours été le parent pauvre du service public d’éducation, comme en témoigne suffisamment l’état de délabrement de nombreux bâtiments construits dans les années 1960.
Car leur effet est redoublé par les dispositions délétères de la loi Libertés et responsabilités des universités, en particulier les Responsabilités et compétences élargies (RCE), autrement nommées, quoique de manière fallacieuse, « autonomie des établissements ».
Mais en fait d’autonomie, il s’agit d’abord et fondamentalement d’une autonomie contrainte qui, dans les faits, revient à donner le choix entre se couper un bras ou une jambe.
**Des vessies pour des lanternes
Les RCE ont notamment permis de transmettre sans façon aux établissements la gestion de toute leur masse salariale, en leur demandant de se débrouiller avec pour payer l’ensemble des personnels d’État, titulaires et contractuels.
La contrepartie de cette charge administrative supplémentaire a été la possibilité de décider en interne la transformation de postes devenus vacants en postes d’une autre nature ou d’une autre catégorie : par exemple, transformer un poste d’enseignant-chercheur en poste d’administratif (ou l’inverse, mais en pratique, c’est plus rare…), ou encore supprimer deux supports de catégorie C pour en créer un de catégorie A.
Ces modifications de la structure d’emploi des établissements demandaient l’approbation du ministère avant les RCE. Ces procédures étaient semble-t-il assez lourdes et longues (de 18 mois à deux ans).
Les établissements disposant des RCE devenant des opérateurs et non plus des services de l’État, il est également devenu possible de « convertir » une masse salariale non consommée (une vacance de poste faute de concours fructueux par exemple), en fonctionnement ou en investissement en « vertu » de la « fongibilité asymétrique » découlant de la LOLF (auparavant, cette masse salariale non consommée restait au niveau du ministère).
Autrement dit, un poste de fonctionnaire est simplement devenu une somme d’argent, utilisable au gré des besoins.
C’est ce qui a poussé une très grande majorité des présidents d’université d’alors à se réjouir de cet accroissement annoncé de leur pouvoir décisionnel, qui leur faisait miroiter la possibilité de mener, grâce aux « marges de manœuvre » ainsi dégagées, la politique d’établissement dont ils rêvaient tant.
À l’époque, le SNESUP-FSU avait clairement averti des dangers de ces RCE, et en particulier, le fait que :
✓ le transfert de la masse salariale risquait fortement d’être incomplet (tout comme l’avait été celui de la masse salariale des personnels TOS des lycées aux Régions quelques années auparavant, sans les primes…)
✓ en cas de réduction des dotations de l’État pour le fonctionnement courant ou l’investissement, les établissements seraient contraints de ne pas pourvoir certains postes afin de payer le chauffage ou réparer des murs prêts à s’écrouler.
**Et la lanière… qui étrangle !
Naturellement, ces peu réjouissantes prédictions ont été ignorées par une Conférence des présidents d’université d’ores et déjà attirée par le soleil noir du néo-libéralisme et le dogme de la concurrence comme aiguillon salutaire d’amélioration.
Leur pertinence se vérifie pourtant désormais chaque année. Car le calcul de la masse salariale initiale attribuée à chaque établissement demandant à accéder aux RCE a été, de manière délibérée, sous-estimé par le ministère, lequel a, par exemple, « oublié » d’y inclure la masse correspondant aux postes (provisoirement) vacants de l’établissement.
Il n’a pas non plus complètement corrigé une sous-dotation, d’ailleurs reconnue par ses propres indicateurs, en nombre de personnels titulaires.
De surcroît, les dotations successives n’ont pas augmenté à la mesure de la croissance de la masse salariale induite par le fameux GVT (« glissement vieillesse-technicité », correspondant à l’augmentation automatique des rémunérations des agents au fur et à mesure de la progression de leur carrière), croissance renforcée par les réformes des retraites qui entraînent des départs plus tardifs des personnels les mieux payés…
Ces dotations enfin, n’ont jamais compensé les effets de certaines décisions de l’État, comme l’augmentation de la cotisation au compte d’affectation spéciale pour les pensions. Bref, la masse salariale devient à peine suffisante pour payer les fonctionnaires encore en poste, et de nombreux établissements sont contraints à faire ce qu’on nomme pudiquement un « gel des postes » : ne pas publier au concours un nombre important des postes devenus vacants au cours de l’année civile écoulée, afin de pouvoir utiliser la masse salariale correspondante pour payer ceux qui restent occupés, ou payer le chauffage, puisque les dotations ne couvrent pas non plus complètement les besoins en matière de fonctionnement.
On ne sait pas quand le dégel de ces postes pourra intervenir, tant l’hiver budgétaire se prolonge et s’aggrave !
Pour couronner le tout, il n’y a eu aucun accompagnement par le ministère en matière de postes supplémentaires pour assurer les nouvelles missions des RCE, ni même en outils administratifs et techniques de gestion et de suivi de la masse salariale, sans parler de la formation des équipes de direction.
Les établissements ont alors dû créer, sur la masse salariale déjà insuffisante transférée par l’État, des postes spécifiques dédiés au « pilotage financier » (avec des rémunérations élevées pour attirer les personnels compétents) et consacrer beaucoup de ressources à l’achat de logiciels.
**À la recherche d’air à tout prix
Le caractère nativement austéritaire des RCE se dévoile donc en ce qu’elles redoublent la rareté et la contraction continue des moyens financiers alloués par l’État, qui stagnent en valeur alors que le nombre d’étudiants augmente, contraignant les établissements à rechercher des financements auprès des collectivités territoriales et du secteur privé, pour simplement pouvoir fonctionner normalement.
À cette privatisation partielle et modulaire, s’est ajoutée la renaissance d’un néoféodalisme universitaire, qui voit de nombreux établissements consacrer des sommes faramineuses en « communication » pour (re) dorer leur blason et gagner des « parts de marché ».
Comme la prodigalité des collectivités territoriales ou du secteur privé demeure pingre et toujours intéressée, on s’en prend désormais à ce qui fait le cœur même de l’ESR, la formation et la recherche.
La recherche, déjà exténuée par l’obésité techno-bureaucratique de la politique de financement sur appel à projets, en lieu et place des financements récurrents devenus infinitésimaux, est indexée à des « retombées » économiques supposées immédiates, incitant les équipes, quels que soient leurs champs disciplinaires, y compris les SHS donc, à formater leurs thématiques de recherche selon ces retombées potentielles, pourvu qu’elles « paient ».
La formation n’échappe pas à ce racornissement généralisé. C’est à un rabotement systématique des volumes de formation que l’on assiste ainsi depuis quelque temps, qui tend d’ailleurs à s’amplifier.
Par exemple, nombre d’enseignements en travaux dirigés sont ainsi convertis en cours magistraux accueillant plus d’étudiants dans la même durée d’enseignement, puisque le temps c’est (aussi) de l’argent.
Cela permet également de faire des économies de matériel, de chauffage, d’usages de salles, etc. Et cela, au clair détriment de l’hétérogénéité des publics universitaires et de la qualité de l’encadrement, ce qui renforce la sélection − déjà à l’œuvre − par l’échec.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir resurgir le débat sur l’augmentation des droits d’inscription, ou sur l’instauration d’une sélection officielle à l’entrée de l’université, qui est aussi une forme d’austérité et d’autoritarisme.
Un autoritarisme qui se traduit également par un raidissement des relations interpersonnelles, et la multiplication de prescriptions ou d’injonctions à caractère local (et souvent non réglementaire !) qui affecte directement le bien-être collectif et ronge assidûment la notion même de collectivité et de service public.
Le caractère drastique de l’austérité se manifeste donc partout et il est particulièrement visible dans la formation des enseignants où l’exigence de moyens humains est centrale pour assurer une véritable formation de qualité avec des groupes de taille raisonnable et pédagogiquement pertinents, un suivi réellement individualisé des stagiaires, etc.
Bref, si les personnels « tiennent » le choc, c’est souvent au péril de leur santé physique et mentale. Mais l’austérité n’est pas que financière, elle est intellectuelle aussi. Et son résultat c’est l’isolement et le repli sur soi, un corporatisme, radical certes, mais qui peut très vite verser dans le pire… ●
Claire Bornais,
Vincent Charbonnier,
SNESUP