Matthieu Doze, citoyen et danseur (encore indemnisé au titre de l’intermittence du spectacle) nous livre ses impressions et l’expérience de moments forts de la lutte des intermittents.
Systématique, le pilonnage de la pensée opéré par les tenants des doctrines néo-libérales porte ses fruits.
Il n’est pas une grève qui ne laisse aux médias de faire entendre la parole d’un quidam (sous entendu : celui qui paye), soigneusement sélectionné, témoigner de ce qu’il est « pris en otage » (comment pareille comparaison obscène a pu ainsi seulement se répandre ?), de « l’irresponsabilité » supposée des grévistes de provoquer tel désordre, à tel moment etc.
On évitera, comme il se doit et avec le même soin, d’ouvrir la focale de l’intérêt général, de la possible solidarité, pour rétrécir au contraire chaque mouvement à l’endroit de la défense d’intérêts purement corporatistes en sorte d’éviter quelque tentative de convergence que ce soit avec tout autre pensée ou mouvement connexe.
**Une prise d’otages ?
Le 29 juin dernier, avec la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France, nous décidons d’occuper le Théâtre de la ville à Paris deux heures avant la représentation du spectacle de Pina Bausch qui doit y être donné.
Il s’agit de dénoncer les simulacres de votes démocratiques qui se tiennent quotidiennement dans cette enceinte quant à l’éventualité d’une mise en grève du théâtre, autant que d’essayer de partager nos efforts avec nos collègues européens du Tanztheater Wuppertal.
Cette occupation temporaire aura été exemplaire en plusieurs de ses moments. Nous sommes 200 sur la scène et dans la salle et proposons aux personnels artistiques, techniques et administratifs présents, une assemblée générale improvisée.
En face de nous, la parole sera consignée par les seules directions du théâtre et du Tanztheater Wuppertal. L’assemblée démocratique que nous appelions n’aura ainsi pas lieu.
Le débat que nous ouvrons appelle de nouvelles questions à mesure que les réponses aux précédentes n’en sont pas. Puis il est tard, la direction du théâtre se décidant finalement à annuler le spectacle, nous proposons aux spectateur-trices qui le souhaitent d’entrer dans la salle pour participer à la discussion.
Comme toujours, il y en a là qui savent de quoi nous parlons et d’autres qui ne savent pas ; certain-es nous soutiennent, d’autres pas… La discussion est riche, enfin !
**Rêve général !
Outre que le droit de grève est à mon avis un corollaire parfaitement indispensable de l’obligation qui nous est faite de travailler, j’ai pensé ce jour-là que la grève était salutaire à un autre endroit : le changement de programme qu’elle engage.
Je veux parler du programme de nos vies, jour et nuit, de la naissance à la mort, de plus en plus cadrées, encadrées, réglées, avec la consommation en ligne de mire.
La consommation d’art et plus généralement de culture ne fait hélas pas exception, particulièrement ici quand on sait que depuis de longues années, beaucoup ne s’abonnent au Théâtre de la ville que pour être certain-es de pouvoir assister à une des représentations du Tanztheater Wuppertal.
Eh bien non ! Ce n’est pas ce qui était prévu qui va se dérouler ici et maintenant. Notre manifestation sera comme une stance. Nos présences inattendues vont créer un espace imprévu, une invitation à penser autrement, à partager activement avec des inconnu-es, les raisons d’une lutte, plurielle et ce qu’elle engage.
Parce que la réforme contre laquelle nous luttons met gravement en péril la subsistance des privé-es d’emploi et de tous les travailleurs précaires, nous souhaitons à toute force faire entendre en quoi elle concerne l’ensemble de la société.
Plutôt que l’autoroute (à péage !) prévue, c’est un autre chemin qui sera emprunté. Plutôt que le spectacle ce sera un débat. Et alors ? Alors, ce sont d’autres espaces qui s’ouvrent, qu’il s’agit d’inventer et réinventer sans cesse, des espaces où le nécessaire reprend du sens et où sa recherche devient de nouveau une question cruciale.
Cette capacité dialogique directe retrouvée nous aura éloigné-es un temps de nos habitudes qui sont autant de forces de diversion qui parviennent à banaliser ou nous conduisent à ignorer parfois jusqu’à l’atroce. ●
Matthieu Doze