Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front National, l’électorat féminin, majoritairement réfractaire au père, hésite un peu moins à voter pour la fille. Mais mettre une femme à la tête d’un parti en ferait-il forcément un parti féministe ? Que dit le FN des thématiques relatives aux droits des femmes ? Et, plus largement, le féminisme est-il soluble dans l’extrême-droite ?
Si Marine Le Pen s’est retrouvée à la direction du FN, c’est bien en tant qu’héritière de Jean-Marie, dans un parti où la désignation des chef-es ne doit pas grand chose à la démocratie. Il n’empêche que son statut de femme a participé à la dédiabolisation de ce parti, tout autant que son discours, plus policé. Elle donne de plus l’image d’une femme active, moderne, vivant en famille recomposée, et même « gay friendly ». Sur ses dernières photos de campagne, elle pose les cheveux au vent, comme si elle recherchait une image plus féminine, limite « magazine people ».
Révolution culturelle ou ripolinage de façade ? L’ouverture d’esprit n’est qu’apparente, et Marine Le Pen ne rate pas une occasion de se gausser des féministes. La parité ? Elle est « contraire à la méritocratie républicaine » ! Les femmes mériteraient donc leur sous-représentation, notamment en politique ? Position assez ironique de la part de quelqu’une qui doit sa place au fait d’être « fille de »…
Le FN a-t-il des propositions en faveur des droits des femmes dans son programme ? Non ! Il envisage le déremboursement de l’IVG, au prétexte que certaines femmes le choisiraient comme moyen de contraception banal, alors que dans les faits 72 % des femmes qui doivent avorter sont tombées enceintes sous contraception, et que plus de 90 % d’entre elles ne le font qu’une fois, voire deux au grand maximum. Pire, le discours du FN renverse la situation en revendiquant pour les femmes la « liberté de ne pas avorter », ce qui l’amène d’ailleurs à préconiser « l’adoption prénatale », on n’est pas loin des mères porteuses…
Certes, le FN n’annonce plus aussi clairement son désir de renvoyer les femmes à la maison, puisqu’il parle maintenant de salaire parental, mais il n’est pas inutile de replacer cela dans le contexte où 98 % des congés parentaux sont pris par les femmes. Marine Le Pen va jusqu’à affirmer que « le progrès pour les femmes est de rester à la maison (…) parce que beaucoup de femmes servent de variable d’ajustement à toute une série de multinationales ». Le progrès social serait donc de les payer 825 € par mois à rester à la maison, avec tout ce que les interruptions ont comme conséquences négatives sur les carrières, les salaires, puis les retraites des femmes, et donc sur leur capacité d’autonomie ? Ou de lutter contre la précarité, pour faire valoir les droits des travailleuses et des travailleurs et imposer de nouveaux droits aux employeurs ? Mais de ça, le FN ne dit rien. Si on continue la lecture du programme, on se rend compte aussi de l’importance donnée aux politiques en faveur de la natalité, dans le but de « préserver notre capital démographique ». La boucle est bouclée, les femmes françaises doivent faire des enfants, sans doute pour contrer l’invasion des hordes immigrantes, voilà leur rôle !
Quant aux violences faites aux femmes, quand elles sont dénoncées par l’extrême-droite c’est toujours sous l’angle ethnique, comme si le sexisme était une survivance archaïque limitée à certains groupes, à certaines religions, comme si les mâles blancs étaient tous égalitaristes. Ce pseudo-féminisme, ou fémo-nationalisme, sert en fait de paravent à l’islamophobie. Au point que les viols sont présentés non comme des actes de domination et de violence sexistes, mais comme des « crimes de racistes anti-blanches » !
On trouve dans l’extrême-droite différents mouvements ou groupes de femmes, comme le Nouveau Féminisme Européen, qui se félicite du rejet par la droite et l’extrême-droite, le 12 décembre, d’une résolution européenne sur les « droits sexuels et génésiques », texte sans force contraignante qui visait à préconiser l’accès à la contraception et à l’avortement, ainsi que l’éducation sexuelle des jeunes, dans tous les pays de l’Union. Le rapport défendait « une sexualité responsable, satisfaisante et sûre ainsi que la liberté pour les personnes de choisir d’avoir des enfants si elles le souhaitent et quand elles désirent ». Notons que les deux animatrices du NFE se présentent comme « anciens députés européens » et non comme d’ancien-nes député-es…
Autre groupement, celui des Antigones, dont le manifeste fait explicitement référence à la Nature et à ses mythes différentialistes : « Nous, Antigones, prônons la féminité pour les femmes : c’est notre nature cohérente et profonde. (…) Les femmes ont une sensibilité différente, une volonté différente, des moyens d’actions différents de ceux des hommes. Ces différences sont une richesse à cultiver et cette altérité est féconde sur tous les plans. C’est pourquoi nous construisons notre démarche sur la complémentarité des sexes. Décidément, non, la femme n’est pas un homme comme les autres.(…) Si des lois écrites par des hommes outrepassent les lois naturelles – c’est-à-dire les normes non écrites qui sont le socle de l’expérience humaine – nous avons le devoir de nous rebeller. » Si on ajoute que ce mouvement a vu le jour au printemps dernier, il n’est pas compliqué de deviner à quelle loi il est fait allusion.
En bref, ce qui relie ces mouvements, c’est une conception essentialiste, qui assigne aux femmes un rôle social déterminé par la biologie, un rôle d’épouse et de mère. D’ailleurs, ce sont les mêmes qui s’opposent au constructivisme, notamment dans le domaine de l’éducation, dénonçant ce qu’ils nomment le « pédagogisme ».
Devant les caméras d’Égalité et Réconciliation (le mouvement de Soral), une de leurs théoriciennes fustige les hommes qui sabotent l’éducation nationale : Jules Ferry, qui aurait coupé les enfants du ciel, Jospin qui les aurait coupés de l’autorité du maître (et donc de la transmission des savoirs) et Peillon qui veut les couper de leurs parents en introduisant « le gender» à l’école…
Nul besoin de creuser bien loin pour confirmer que ces gens-là ne sont pas du côté de l’égalité, ni de l’émancipation des femmes, ni de la démocratisation scolaire… Bref, l’extrême-droite est toujours du côté des puissants, CQFD.
Initiative syndicale contre l’extrême-droite le 29 janvier
Dans un contexte européen marqué par la remontée de courants d’extrême-droite, nos organisations syndicales récusent la banalisation d’un parti dont l’histoire, les idées et pratiques n’en demeurent pas moins antirépublicaines, xénophobes et sexistes. Les organisations syndicales CGT, FSU et Solidaires ont décidé d’initier un travail en commun afin d’unir leurs forces pour construire un argumentaire, utilisable par tou-tes les militant-es sur l’ensemble des territoires, sur les différentes questions sociales en jeu. Ce travail s’inscrit dans le prolongement de l’appel « La préférence nationale n’est pas compatible avec le syndicalisme » signée en mars 2011.
Pour lancer cette campagne commune, elles organisent une journée de travail sous forme d’ateliers autour de thématiques diverses, le 29 janvier prochain à Paris. Cette journée se conclura par un temps fort d’expression syndicale, sous la forme d’un meeting avec la participation des premiers responsables de nos organisations, à Montreuil. Nous entamerons ainsi une campagne de longue durée qui sera marquée par des initiatives larges communes dans les entreprises, administrations, services publics, localités et départements.