Tous les lecteurs de la revue de l’école Emancipée ne connaissent probablement pas Pierre Stambul, militant du SNES et de l’école Emancipée jusqu’à son départ de celle-ci avec ceux qui ont créé la tendance Emancipation dans FSU.
Pierre se présente ainsi : « L’auteur de ce livre est né en 1950, professeur de mathématiques retraité. Il est juif tout en étant athée et antisioniste. Son judaïsme est principalement issu du souvenir du génocide nazi. Parents résistants dans la MOI. Mère dont la famille a été exterminée. Père qui fut dans le groupe Manouchian et a été déporté à Buchenwald. C’est au nom de ce judaïsme qu’il milite depuis 2002 dans l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) pour les droits du peuple palestinien et pour une paix au Proche Orient fondée sur l’égalité et la justice ».
Je voudrais dans ces quelques lignes vous convaincre que ce pavé de 600 pages mérite d’être lu.
La forme en est déroutante : Pierre va reprendre la plupart des textes qu’il a publiés depuis plus de 30 ans, les compiler, et les commenter. En montrant comment et pourquoi il a évolué au fil des événements, en revenant sur les mêmes questions, en montrant comment il modifie ses réponses, il permet d’approcher la difficulté que nous avons tous eu à appréhender le fait « Israël », quelles que soient nos origines, de comprendre comment les survivants du génocide des Juifs d’Europe et les générations d’enfants de survivants ont pu être séduits par le sionisme d’après-guerre, et par quels chemins certains ont pu s’en détacher.
Mémoire, identité… et politique
La question « qu’est-ce qu’un Juif, qu’est-ce qu’être juif », – une question à laquelle Pierre ne donne pas la même réponse en 1967 au kibboutz et en 2002 en adhérant à l’UJFP – ne concerne pas que les Juifs, ou les juifs(2), mais intéresse toutes celles et ceux que le débat sur « l’identité » interpelle.
Qu’est-ce qu’être juif quand on est athée, que l’on n’a pas eu d’éducation religieuse, ni communautaire, que l’on a été élevé en France en français ? Si un militant internationaliste choisit au bout de plus de 30 ans de vie militante de se déclarer juif et de s’organiser dans une association qui se dit juive (même si elle ne demande aucun certificat de judéité à l’adhésion et annonce qu’elle regroupe des Juifs et des non-Juifs), c’est bien sûr le choix politique de refuser le hold-up du CRIF sur la mémoire. Mais c’est aussi montrer comment cette mémoire peut tarauder l’esprit.
Il y a bien sûr une autre raison d’ouvrir ce livre, c’est la lumineuse préface de Michel Warschawski. « Le grand mérite de Pierre Stambul est de nous montrer que loin d’être une histoire du passé ou uniquement un concept idéologique, le sionisme est une réalité politique d’aujourd’hui et donc d’une actualité brûlante. Ce qui ne veut pas dire qu’il évite ni le contexte historique ni l’aspect idéologique du sionisme, mais qu’il va plus loin […]. Tout Etat qui a pour idéologie / projet une entité ethniquement, nationalement ou confessionnellement homogène est gros de politiques, voire de guerres, d’épuration ethnique […]. Comme tout colonialisme, le sionisme est aveugle à l’existence d’une population autochtone considérée tout au plus comme un problème environnemental, comme les moustiques, les marais et la pierraille.[…] Dans le contexte du conflit palestino-israélien, l’anticolonialisme se nomme l’antisionisme ».
Pierre en arrive logiquement à une conclusion qui nous concerne tous : « Il n’y aura pas de paix si on ne la fonde pas sur l’égalité des droits dans tous les domaines. Il n’y aura pas de paix sans une rupture avec le sionisme ou un dépassement de cette idéologie. Le sionisme n’est pas seulement criminel pour les Palestiniens, il est suicidaire pour les Juifs. » ●
André Rosevègue
1) La Bussière (Vienne), Acratie, 2012, 600 pages, 25 euros
2) On a pris l’habitude d’écrire juif comme on écrit catholique ou protestant,
et Juif comme on écrit Français ou Palestinien, renvoi à une communauté culturelle et/ou nationale et/ou ethnique. Il y a juif et Juif comme
il y a en Bosnie musulman et Musulman.