ENTRETIEN AVEC L’AHSETI*- Acharnement contre les migrant·es

*L’Association havraise de solidarité et d’échanges avec tout·es les immigré·es (Ahseti) fait partie du réseau français des Asti. Elle n’a aucun·e salarié·e, compte une quinzaine de bénévoles pour prendre en charge quelque 200 nouveaux dossiers chaque année. Ses militant·es y mènent des actions ponctuelles de mobilisation pour la défense des sans-papiers, ils et elles assurent également au quotidien l’accompagnement des personnes dans leurs démarches administratives. Francis et Chantal, militant·es très engagé·es de l’Ahseti ont répondu à nos questions.

Depuis la loi Darmanin et la circulaire Retailleau, la situation des sans-papiers s’est considérablement dégradée. Quels en sont les éléments essentiels ?

Le pilier de cette loi est le suivant : l’étranger·e est un·e délinquant·e en puissance et une menace à l’ordre public. Toute notion d’un accueil digne et respectueux des droits en est bannie.

Pour cela, la loi facilite le prononcé des mesures d’éloignement (obligation de quitter le territoire français − OQTF et interdiction de retour sur le territoire français − IRTF), et ceci en supprimant un grand nombre des protections contre ces mesures (une seule catégorie reste protégée par l’article L611-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile − Ceseda, alors qu’avant la loi de janvier 2024, il y en avait neuf) et en augmentant les situations dans lesquelles on peut les prononcer (automaticité après un refus d’asile, expulsion fondée sur une prétendue « menace à l’ordre public »… ). Les OQTF, y compris celles prononcées avant la loi de janvier 2024, deviennent exécutables durant trois ans au lieu d’un an.

L’existence d’une OQTF même ancienne et/ou d’une « menace à l’ordre public » peuvent être invoquées pour refuser un titre ou un renouvellement, ou pour retirer un titre ou en modifier la durée de validité.

Ajoutons deux autres points importants : l’obligation pour toute demande de titre de signer un contrat d’engagement à respecter les valeurs de la République et la condition d’une maîtrise de la langue française au niveau A2 pour avoir un titre pluriannuel, au niveau B1 pour avoir un titre de dix ans qui rentrera bientôt en vigueur (les décrets devraient être publiés avant janvier 2026). La circulaire Retailleau de janvier 2025 aggrave la situation. Elle abroge la circulaire Valls et fait passer à sept ans la durée de résidence exigée pour une demande d’admission exceptionnelle au séjour (AES). Mais il ne faut pas oublier qu’une circulaire n’est pas une loi, et que même avant cette circulaire, l’AES était laissée au pouvoir discrétionnaire des préfet·es.

Les procédures se sont-elles complexifiées, les recours sont-ils plus difficiles que par le passé ?

Plus des deux tiers des demandes se font maintenant sur la plateforme numérique de l’Administration numérique pour les étrangers en France (Anef). En ce qui concerne les procédures de demande de titre ou de renouvellement, on note une augmentation importante des documents exigés, qu’il s’agisse des titres relevant des liens familiaux ou au travail. Les formulaires se multiplient. Il y a un formulaire pour les métiers en tension et un autre pour l’examen des demandes à 360°, qui sont une expérimentation faite en Normandie depuis juillet dernier. Les préfectures peuvent étendre l’instruction d’une demande de titre en explorant tous les fondements possibles. Cela peut sembler une avancée pour les demandeur·ses. Mais en cas de refus sur une demande en particulier, les étranger·es sont dans l’impossibilité de faire une nouvelle demande dans l’année qui suit. Nous n’avons pas encore beaucoup de recul, mais on craint que l’un des objectifs soit de donner un titre offrant moins de droits que celui demandé (par exemple le titre de salarié·e au lieu de celui de vie privée et familiale, car l’autorisation de travail est un titre compliqué à renouveler).

En ce qui concerne les recours après un refus de titre, les avocat·es constatent un durcissement des décisions des tribunaux administratifs.

Les délais d’attente pour rendez-vous avec les (sous-) préfectures sont scandaleux : quelles en sont les conséquences concrètes sur les personnes, et quelle aide une association comme la vôtre peut-elle apporter ?

Dans la plupart des préfectures et sous-préfectures, on constate un triple phénomène :

✔ un manque de moyens criant augmentant considérablement tous les délais

✔ la quasi-impossibilité de prendre des rendez-vous (en particulier de renouvellement pour les demandes qui ne se font pas sur l’Anef),

✔ l’impossibilité d’accéder physiquement au guichet pour obtenir des informations.

Les conséquences en sont terribles, et s’il est difficile de faire des statistiques, on peut dire que dans une ville comme Le Havre, ces dysfonctionnements majeurs plongent des dizaines de personnes dans une paupérisation et une précarisation terribles. Discontinuité entre deux titres, donc rupture des droits sociaux (CAF, APL, AAH, retraite…) mais aussi menaces sur l’emploi, sur le logement (risque d’expulsion faute de ressources pour payer le loyer), impossibilité de sortir du territoire français.

Notre association peut indiquer les recours possibles et les accompagner, mais ils sont très rares et demandent toujours du temps alors que les besoins sont urgents. La seule action valide est de pousser les personnes à s’organiser et se mobiliser pour faire pression et demander le respect de leurs droits.

Quelles sont les conséquences de la décision du Sénat du 12 mai de retirer aux associations le marché public de l’aide juridique dans les centres de rétention administrative (CRA) au profit de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii)?

On espère bien que les député·es ne la voteront pas ! Comme le dit la tribune parue dans le Monde du 11 mai, l’Ofii n’est pas indépendante du pouvoir puisqu’elle dépend du ministère de l’Intérieur qui est à l’origine de la mise en rétention. On ne peut pas être juge et partie.

Maintenir une assistance juridique indépendante en CRA, c’est respecter l’État de droit. Ce texte, s’il était adopté, porterait un coup fatal à l’exercice des droits des personnes privées de liberté et à la transparence démocratique.

Le droit au recours garantit à toute personne la possibilité de se pourvoir devant un juge.

Propos recueillis parVéronique Ponvert**