États-Unis : la gauche politique et syndicale face au trumpisme

La défaite des démocrates à l’élection présidentielle a donné la victoire à Donald Trump. Alors qu’elle était absente aux primaires démocrates, la gauche se reconstruit à travers les luttes syndicales et le renforcement du parti Democratic Socialists of America.

PAR Mathieu Bonzom maître de conférence, spécialiste des États-Unis. Syndicaliste Snesup

Le retour annoncé de Donald Trump à la Maison Blanche ne suscite pas de révolte immédiate, contrairement à sa victoire de 2016. Les républicains contrôlent l’ensemble des pouvoirs fédéraux. Le soutien politique et financier des classes dirigeantes s’est porté très majoritairement sur les démocrates, mais la désaffection des classes populaires a été décisive: Biden n’a pas enrayé la dégradation de leurs conditions de vie, Harris n’a rien proposé de cet ordre, le trumpisme a raflé la mise. Le milliardaire Elon Musk jubile, menace d’acheter autant d’élections qu’il le faudra aux États-Unis et soutient ouvertement l’extrême droite aux élections en Allemagne (et pourquoi pas demain en France, face à une Macronie dans l’impasse). Devant ce sombre horizon politique, le rôle des nouvelles forces de la gauche politique et sociale sera déterminant.

Le renouveau de la gauche politique se poursuit

Les États-Unis sont l’un des rares pays du centre capitaliste où aucun parti de masse de gauche n’est parvenu à s’installer dans le paysage politique. Mais à partir de la campagne de Bernie Sanders aux primaires présidentielles démocrates en 2016 et pendant la première présidence Trump, la gauche a fait son grand retour, et pas seulement dans le débat public: le parti Democratic Socialists of America (DSA), qui avait quelques milliers de membres, fluctue maintenant entre 70000 et 90000. Soit un nouveau pôle militant aussi bien dans un nombre croissant de campagnes électorales que dans les multiples luttes sociales et syndicales qui ont marqué les années Trump et Biden.

La politique de DSA est contrôlée par ses membres, au quotidien et lors de congrès nationaux et locaux (DSA n’a rien de «gazeux»), à travers diverses tendances, et grâce à des dispositifs de lutte contre les discriminations internes (raciales, de genre, etc.). L’organisation parvient à conjuguer unité et décentralisation. Différentes commissions coordonnent localement son action en lien avec ses élu.es (plusieurs centaines à divers échelons), les syndicats, les organisations pour le droit au logement, féministes, antiracistes, écologistes, ou encore dernièrement en solidarité avec la Palestine.

L’organisation est plutôt jeune, urbaine, diplômée, et dans une moindre mesure, blanche et masculine, surtout implantée dans les grandes villes des côtes Est et Ouest. Elle est présente dans les petites villes universitaires du reste du pays et tente de percer dans des régions politiquement disputées ou républicaines (des militant.es de New York et Philadelphie se rendent par exemple au cœur de la Pennsylvanie). Dans ses bastions, DSA reflète mieux la composition des classes travailleuses urbaines, multiraciales et féminisées (salarié.es du secteur public, de la santé, et autres services).

L’activité électorale est un moteur pour DSA. Sa force de frappe de terrain est prise de plus en plus au sérieux par les démocrates, qui contre-attaquent parfois à coups de millions (comme contre les ex-élu·es à la Chambre des représentant·es Jamaal Bowman et Cori Bush cette année, pris pour cibles notamment pour leur soutien à la Palestine et battu·es à la primaire démocrate). Cette activité continue d’amplifier et de transformer le regain de popularité des idées de gauche en croissance organisationnelle, qui nourrit toute l’intervention de DSA.

Un cycle de luttes syndicales

Les années Biden ont connu d’importantes grèves victorieuses, grâce à des conditions favorables sur le marché du travail, dans les mentalités (renouveau socialiste, effet post-Covid) et dans les institutions qui régulent les conflits sociaux. Elles ont permis de grandes avancées sur les salaires, les conditions de travail et d’embauche, dans les bastions syndicaux des services et de l’industrie (santé, automobile, transports, docks, ou encore Hollywood). D’âpres luttes de syndicalisation (Starbucks, Amazon) ont bravé avec succès les pratiques antisyndicales, sans toujours parvenir à transformer ces victoires en avantages matériels dans des contrats collectifs.

Les syndicats les plus combatifs sont souvent galvanisés par des tendances réformatrices internes, porteuses d’une orientation «lutte de classe», coordonnées notamment dans le réseau Labor Notes. Le cas le plus exemplaire est le syndicat de l’automobile (UAW), qui a mené une grève bien organisée et combative fin 2023 et tente de transformer sa victoire éclatante en dynamique d’expansion. Ces succès sont arrivés dans la foulée d’une victoire de la tendance de lutte aux élections internes de l’UAW, après des années de bureaucratisation et de corruption.

Quelles perspectives pour 2025?

Absente des primaires présidentielles démocrates pour la première fois depuis 2016, la gauche revient à la charge après la défaite des démocrates. Bernie Sanders propose depuis novembre des mesures radicales contre l’influence des milliardaires et pour une véritable politique sociale et de santé. Il s’appuie sur l’étonnante vague de sympathie pour Luigi Mangione, après l’assassinat de Brian Thompson, PDG d’une des grandes compagnies privées d’assurance de santé, largement haïes. Si le paysage politique reste verrouillé par l’argent et les deux grands partis, les attentes de la population sont en décalage avec ces derniers.

Même, et surtout avec le retour en force du trumpisme, il est urgent de défendre une politique par et pour les classes populaires dans leur diversité (antiracisme concret) et leur unité (revendications sociales). La plupart des démocrates ne la mèneront pas car ils sont littéralement vendus au grand capital et espèrent une simple alternance. Or, ce serait à l’évidence le meilleur outil pour créer une brèche dans la base électorale du trumpisme. Les luttes sociales pourraient s’y engouffrer, et DSA tenter de créer des contre-pouvoirs de gauche (et pas seulement démocrates) dans les institutions locales, sans attendre les élections fédérales de 2026 ou 2028.

Les fortes luttes syndicales actuelles ne gagnent pas toujours, comme on vient de le voir encore chez Amazon. Même lorsqu’elles ont gagné, elles n’ont pas infléchi des décennies de baisse de la syndicalisation. UAW montre l’exemple avec ses projets ambitieux d’implantation dans de nouvelles entreprises et son appel à se coordonner pour une future grève interprofessionnelle (rare et difficile aux États-Unis). Les importantes ressources financières des syndicats pourraient servir ce type de projets, avec des revendications pour l’ensemble des classes populaires. Sans quoi les syndicats auront même du mal à préserver l’existant face à Trump.

Les républicains ont un grand pouvoir institutionnel mais leur soutien électoral est pétri de contradictions. Les années à venir seront rudes et créeront néanmoins des opportunités de mobilisation et de renforcement pour la gauche sociale et politique. La consolidation ou la fragilisation du pouvoir des classes dirigeantes sous un gouvernement fascisant dépendra notamment de l’action de cette gauche aux côtés des classes populaires dans leur ensemble.