Même à géométrie variable, les groupes de niveau, devenus de besoins, s’appliquent, abîmant l’école et nos métiers. Avec l’annonce de l’acte II du choc des savoirs, un acte II des mobilisations s’impose.
PAR Marie Haye
Les groupes «de besoins», cache-sexe du tri des élèves selon leur niveau supposé, lui-même corrélé à leur origine sociale, sont un instrument pour déposséder les enseignant·es de leur métier. En mathématiques et français, les progressions communes, rendues nécessaires par la flexibilité des groupes, corsètent la liberté pédagogique de collègues privé·es de leur rôle dans les conseils de classe ou lors des réunions parents-professeur·es. La perte d’autonomie professionnelle se double de pressions hiérarchiques accrues: des directions profitent des barrettes ou de l’annualisation des services, induite par certains choix d’organisation, pour imposer des remplacements en interne. La conséquence en est une perte de sens: la relation pédagogique est précarisée par la flexibilité des groupes. Extraire de la classe les plus fragiles ne permet pas les progrès scolaires attendus, voire génère des difficultés supplémentaires. Cela sans compter la souffrance engendrée par la participation au quotidien à une entreprise qui heurte principes et convictions professionnelles.
Face à un acte II du «Choc des savoirs»…
Les groupes de niveaux organisent par ailleurs une dégradation généralisée des conditions de travail: faute de moyens suffisants, il a souvent fallu renoncer à ce qui était financé sur la marge dite «d’autonomie» (groupes de sciences, bilangues, langues anciennes…) Les barrettes contraignent si fort les emplois du temps que la cohérence pédagogique est bien souvent passée par pertes et profits, comme les vœux dits «personnels» des collègues. Tout est plus compliqué et plus lourd en termes de suivi des élèves et de coordination. Les projets pédagogiques sont rendus beaucoup plus difficiles.
Le Conseil d’État a annulé les dispositions de l’arrêté et de la note de service du 15 mars dernier au motif de « l’incompétence» de la ministre: seul·e la ou le Premier·ère ministre est compétent·e pour décider, par décret, des règles touchant à l’organisation des enseignements. Il a cependant estimé que les conséquences d’une annulation rétroactive auraient été «excessives». Il laisse donc le temps au gouvernement de légaliser les groupes de niveaux d’ici au 6 juillet, ce que ce dernier prévoit de faire. Pour ne pas se déjuger, A. Genetet s’apprêtait à imposer en 4e et 3e un dispositif qui ressemble au «soutien / approfondissement 6e» de 2023-2024. La nouvelle ministre E. Borne le reprend à son compte mais abandonne, l’obligation d’obtenir le brevet (DNB) pour passer en seconde. Les nouveaux programmes centrés sur des «fondamentaux» dans leur conception la plus étroite et les manuels labellisés sont toujours dans les tuyaux.
… un acte II de la mobilisation!
On le voit : le bulldozer néolibéral ne s’arrête pas tout seul. La lutte du printemps dernier a montré que l’alliance avec les parents d’élèves permettait à la mobilisation de gagner en force et en visibilité. Là où les équipes ont réussi à imposer des groupes hétérogènes et fixes, elles l’ont souvent fait avec les parents. Depuis la rentrée, ces équipes font l’expérience d’effectifs allégés alors que les classes en France sont parmi les plus chargées d’Europe. Cela renforce la revendication unifiante et socialement légitime d’abaissement généralisé des effectifs. Cette revendication constitue un fil permettant d’en tirer d’autres pour faire advenir le projet d’école émancipateur que porte la FSU. La lutte du printemps dernier a aussi confirmé qu’une approche fédérale était indispensable pour faire apparaître les attaques dans toute leur cohérence et leur dangerosité, et construire du commun avec les collègues de la maternelle au lycée. Remettons tout cela sur le métier : il y a urgence !